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« escroqués » ne se plaignaient pas, mais ils suppliaient qu’on leur permît de continuer leurs largesses. Aucune loi, disaient-ils, par la bouche de Me Hatot et de Me Caffin, avocats de l’accusé, aucune loi n’interdit de traiter avec honneur le fils d’un pauvre tailleur, de lui baiser la main et de le servir à table : nous savons que notre hôte n’est autre que Jean-Marie Hervagault, né à Saint-Lô, de parents modestes : c’est comme tel que nous l’hébergeons, que nous le fêtons, que nous l’entourons de soins et d’hommages ; — et telle est la thèse que Me Caffin s’apprêtait à soutenir devant le tribunal d’appel de Reims, Hervagault avait été transféré dans cette ville le 16 mars 1802. Mgr de Savine l’y avait suivi en qualité de grand aumônier, et, jugeant qu’il y avait urgence à ce que le rejeton des Rois fit souche d’authentiques Bourbons avant de succomber sous les coups de ses redoutables ennemis, il lui offrait à choisir entre trois sœurs « aussi aimables qu’intéressantes, » toutes trois originaires du Dauphiné, — ce qui était presque symbolique, — et filles du marquis V. de L… qui lui-même était né des amours de Louis XV avec Mlle de Nesle. Hervagault, fidèle au souvenir de la belle-sœur du roi de Portugal, résista quelque peu et ne céda aux sollicitations du préfet que par considération pour l’avenir de la monarchie. Par malheur, Fouché, ministre de la police, fut informé, bien probablement par Batelier, son ancien collègue à la Convention, des incidents qui troublaient la Champagne ; il « recommanda » Hervagault au Commissaire du Gouvernement séant à Reims : — « Dans le cas où cet individu serait acquitté, écrivait-il, vous prendriez les mesures nécessaires pour qu’il fût, sur-le-champ, amené par devers moi. » Et, dès les premiers jours, dans sa nouvelle prison, le prévenu fut « par mesure de haute police, » tenu à une sorte de secret ; seuls les magistrats et son avocat obtinrent l’autorisation de pénétrer dans son cachot. Il était prisonnier d’État.

D’ailleurs, à cette époque, l’intérêt qu’inspirait l’énigmatique figure de l’aventurier, décline de jour en jour : trop de gens ont inconsciemment soufflé le rôle et l’on ne peut plus s’étonner qu’il soit bien su. On doit donc abréger le récit de cette existence peu banale en se bornant à relater ses péripéties les plus marquantes. Le 3 avril 1802, contre l’attente générale, le tribunal de Reims confirmait, en ce qui concernait Hervagault, le jugement de Vitry et condamnait la dame Saignes à six mois