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bien, ces Cosaques, pour avoir passé trente et un mois avec eux, du temps où il était dans l’infanterie montée ! Des bandits, des gens féroces, cela était certain ! Mais quels charmants garçons, quand ils n’étaient pas de service ! Ils dansaient, c’était un rêve ! De véritables chérubins ! et quels cavaliers, Dieu juste ! Et quel buveurs incomparables ! Avant qu’un Cosaque se sôule, il faut une mer d’eau-de-vie. Mais quand il est sôul, par exemple, vingt Juifs, que dis-je ! cinquante Juifs n’en viendraient pas à bout !

La voix du Chantre qui entonnait marew, interrompit les propos du Soldat, et ramena la synagogue à des pensées moins frivoles. Dehors, dans la cour du Zadik, quelques accordéons commençaient de gémir, et les Cosaques excités par l’excellent repas et tout le vin et l’eau-de-vie qu’ils avaient bus dans la journée, s’étaient remis à chanter :


Sur les eaux du large fleuve,
Ont apparu les barbues peintes,
Les barques peintes des Cosaques
Avec leur proue en fer de lance…


Et d’une façon bien insolite le chant guerrier se mêlait au vieux cantique de David :


L’homme est semblable au néant.
Ses jours passent comme l’ombre fugitive…


Dehors, les cent Cosaques, groupés autour de leurs accordéons, faisaient avec leurs voix puissantes un chœur qui remplissait la nuit :


Sur la barque qui s’avance en tête,
Stenka Razine se tient debout,
Enlaçant sa Persane.
Il fête ses nouvelles noces, il est gai, il est ivre !

Autour de lui ses compagnons murmurent :
Il nous oublie pour une femme.
Une seule nuit passée avec elle
L’a rendu au matin pareil lui-même à une femme…


En vain le ministre officiant, en vain toute la synagogue s’efforcent de dominer la chanson. La chanson des cent Cosaques couvre tout de sa clameur ! On dirait que l’accordéon