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éteint, et le bruit des chevaux qui hennissaient, piaffaient et se mordaient dans la sainte souka, le vieux Zadik sentait son cœur se remplir d’une profonde amertume. Avait-il eu raison d’appeler ici ces païens ? Avait-il obéi à une inspiration divine ? Dans sa bonté le Seigneur avait-il résolu de protéger la Communauté sainte (non certes à cause de ses mérites, mais à cause des mérites des ancêtres ? ) Ou bien l’Eternel Sabaoth avait-il voulu éprouver son serviteur, et voir s’il mettait plus de confiance dans un secours profane que dans la miséricorde divine ?… Interrogations redoutables, qui demeuraient, hélas ! sans réponse. Et puis d’ailleurs, pourquoi interroger sans fin ? N’est-ce pas le plus grand des crimes de chercher à pénétrer les secrets de l’Eternel ? Obscurs sont les desseins de Dieu. Malheur à l’imprudent qui tente de vouloir les connaître ! Et sur cette pensée rassurante, le Zadik souffla sa bougie et s’enfonça dans les ténèbres.


XI. — LES SORCIERS DE LA LUNE

Les Cosaques avaient fait savoir, par l’entremise de Leïbélé, qu’ils feraient, cet après-midi, des exercices à cheval, et que, pour remercier les Juifs de leur hospitalité, ils les conviaient à ce spectacle.

Grand émoi à la synagogue ! Enflammés par les récits du Soldat, tous les Juifs de Schwarzé Térné brûlaient d’aller dans la prairie pour voir les tours des Cosaques. Mais qui donc eût osé avouer une curiosité si profane ?… Cette fois encore Reb Mosché, qui lisait à livre ouvert dans le cœur de ses coreligionnaires, et qui de plus était possédé, comme on sait, d’une passion immodérée pour tout ce qui touchait aux chevaux, prit hardiment la parole : « Sans doute, dit-il en s’adressant d’une façon plus particulière aux Instruments de Sainteté, ces courses de chevaux ne sont un plaisir pour personne. Mais en eux-mêmes de pareils exercices, s’ils n’ont rien que de barbare, ne sont cependant pas indécents. Allons-nous contrarier des gens qui font preuve à notre égard de dispositions excellentes ? Comprendraient-ils que nous n’ayons que du mépris pour des jeux dont ils tirent, eux, tant d’orgueil ?… »

Et voici comment, si étrange que, cela puisse paraître,