Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/602

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’on ne fait une religion sans le peuple. Une religion que le peuple n’adopte pas et n’éprouve pas, ce n’est pas une religion : c’est une philosophie. Un art que le peuple n’éprouve pas, n’est pas un art religieux, c’est ou de l’ésotérisme ou du dilettantisme. On peut le mettre au musée : il n’a rien à faire dans une église.

Un après-midi d’automne, en Bretagne, je visitais une modeste église de village, précédée d’un calvaire encore plus modeste, mais émouvante et pittoresque comme elles le sont presque toutes, lorsque, sous le porche, un détail inattendu m’arrêta. Par terre, en vrac, dépaysées et désorientées comme gens qui attendent quelque chose et ne savent pas de quel côté cela viendra, des statues anciennes, peinturlurées, figurant des personnages sacrés, étaient là, descendues de quelque corniche, ou de quelque autel et, pour ainsi dire, à pied. Et que faisaient-elles ? Le sacristain, interrogé, répondit que c’était des saints jadis vénérés de la paroisse, mais qu’ils étaient si mal faits, si ridicules, que les fidèles, depuis longtemps, ne pouvaient les regarder sans rire « parce que, maintenant, on a de l’instruction et on s’y connaît, » — ajouta-t-il en manière d’explication. Donc, M. le curé, pour mettre fin au scandale, avait résolu de les faire disparaître.

Naturellement et selon le rite, mes compagnons de voyage s’indignèrent. Car il y a des rites en ces matières et l’un d’eux est qu’il faut déclarer merveilleuse et intangible toute vieillerie, — y compris ce qui neuf, nous aurait fait pousser des cris d’horreur… Ces saints mal dégrossis, sans proportion, grossièrement coloriés, mais doués de quelque caractère, avaient le charme d’une histoire terrible, mal racontée par un enfant qui a peur. Ils pouvaient amuser la curiosité de gens blasés sur les perfections plastiques des chefs-d’œuvre, pour avoir visité tous les musées du monde. Mais il était fort naturel qu’ils fussent un objet de répulsion ou de rire pour les paroissiens. En voyant des saints figurés comme des magots, ils ne pouvaient penser que deux choses : ou que la sainteté produisait des effets bien pénibles, ou que l’artiste avait voulu se moquer du Ciel… De là, le scandale. Et, en le faisant cesser, le bon curé avait raison. Il est possible que jusqu’à un certain point, ces naïves sculptures fussent de l’art. Mais ce n’était pas de l’art « religieux. »

Robert de la Sizeranne.