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diagnostic d’un « certain degré de rachitisme, » porté après l’examen des ossements en 1894, on songe à cet enfant « rachitique et contrefait » que la femme Simon dit avoir vu sortir de l’école de chirurgie et que l’on conduisait au Temple où il devait remplacer le Dauphin…

Dans l’histoire de ce souverain sans sujets, histoire énigmatique jusqu’au-delà du tombeau, tout chancelle et s’effondre dès qu’on se flatte d’avoir posé une assise ou dressé le frêle échafaudage d’un raisonnement : l’ombre du pauvre Roi persécuté se revanche en perpétuant l’opacité des ténèbres dont les hommes ont voulu envelopper sa vie ; elle réclame en expiation l’hommage indéfini de nos perplexités ; en dépit de nos efforts pour échapper à sa hantise, elle se rappelle à nous, s’impose et ne supporte pas d’être oubliée. Pour abolir le cauchemar, nos pères ont démoli la sinistre Tour ; depuis un siècle, il n’en subsiste plus une pierre ; le vieux donjon disparu, un saule pleureur a poussé là ; durant près de cent ans, ont frissonné sur ce lieu fatidique ses branches éplorées ; l’arbre, lui aussi, fut abattu ; alors quelqu’un, — quelqu’un qui ne savait pas, un fonctionnaire insoucieux, à coup sûr, de la tragique légende, a pris, au hasard, dans les dépôts de la ville une statue, comme d’autres emmagasinée : on l’a dressée là, sans idée de symbole, sans nulle intention préconçue que de « remplir un vide, » de meubler un bout de pelouse… Et voilà évoquée de nouveau la petite ombre plaintive, exigeant la pérennité de nos souvenirs : cette statue du square du Temple est une figure de Diogène, avançant à tâtons, levant sa lanterne et, dans l’obscurité, » cherchant un homme. »


G. LENOTRE.