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masse légère pend comme un rameau de vigne, et la grappe tordue se détache sur un espace d’or en fusion. » Sur un socle, non loin de là, une femme nue, en pierre, se penchait ; la ligne des épaules rappelait à Roger de Cabre une maîtresse qui venait de le quitter : « il avait essayé, sans y réussir, d’en avoir un grand chagrin. » Les violons et les flûtes chantaient, dans le parc ; les feuilles bruissaient et l’on entendait aussi tinter l’eau d’une fontaine. « La grappe céleste s’assombrissait entre les branches. Bientôt, elle creva… Le firmament tout entier fut un pressoir, où cette pourpre, jaillie des nuages troués, se répandait universellement… » Les allées étaient roses, « le bassin balança une flamme fugitive, » les femmes eurent aux joues et aux yeux des reflets et, les robes, des couleurs écarlates ou violacées. Des jeunes filles et de jeunes femmes vont et viennent, dont la moins étonnante suffit à écarter Roger de sa rêverie. L’on est surpris de le trouver seul ; car le bruit court que ce garçon n’existe plus s’il n’est en compagnie et que, seul, il se fond comme une ombre vaine. Des jeunes filles et de jeunes femmes l’éveillent à vivre, le temps qu’il est amoureux d’elles. Mais Roger ne ressemble point à l’image que peint de lui l’opinion des passantes. Il a une vie secrète, et que nul ne devine, et que lui-même devine à peine. Il aime une jeune fille qu’il n’a pas le droit d’épouser ou d’aimer. Pour l’amour de cette jeune fille, et pour lui léguer sa fortune, il se tue.

Roger de Cabre est le jeune homme au masque. Il n’a montré à personne et il n’a pas tous les jours montré à lui-même le grand amour qui était sa vie et qui fut sa mort. Son masque était la futilité. Il avait un peu l’air, au dehors, de ces Luc d’Hermany et de ces Apremont qui annoncent l’agonie de l’amour, et qui ne le savent pas, mais qui sont voués à l’amour. M. Edmond Jaloux leur a ôté leur masque ; et il nous invite à les voir, masqués ou non masqués, dans la sincère hypocrisie de leur comédie amoureuse, puis dans la secrète vérité de leur tourment, qui est leur joie étrange et mortelle.

Le héros de son roman, je crois, le plus parfait, — seulement, je préfère aussi les autres, — Edouard du Puget, dans l’Éventail de crêpe, regarde, aux murs, de vieilles estampes de Watteau. Sous des arbres d’automne, à l’orée du bois, sur de belles rives, passent des couples d’amants ; ou bien ils s’asseyent sur l’herbe ; ils cueillent des fleurs, échangent des serments, des caresses, jouent de la viole ou de la flûte, ou s’embarquent sans demander où va les mener la galère