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« Qu’as-tu vraiment aimé sur cette terre, sinon cette longue méditation, cette rêverie qui, persuasive, calme, indifférente aux accidents, faisait à tes émotions une continuité si parfaite ?… Vingt existences n’auraient pas épuisé ton élan. Et quel arlequin, quel bouffon n’aurais-tu pas été si, derrière tes désirs, derrière tes folies, tes expériences et tes excès, tu n’avais pas tendu l’ouïe à ce long poème intérieur, fait de désenchantement, de plaisir et de paix intime, qui te rendait indifférent au bonheur, calme même dans les pires gênes de la jalousie !… » Le même garçon dit encore : « Au fond de ma vie, il y avait une sorte de rêverie continuelle, une rêverie faite de tendresse et de distraction, en même temps proche des choses et détachée d’elles, une rêverie où mon âme et mon cœur s’épanchaient sans cesse, dans une sorte de demi-bonheur mélancolique. » Ce demi-bonheur mélancolique est un sentiment qui ne se prête pas à l’analyse et pour lequel on ne trouve pas une formule rigoureuse. Le garçon qui l’éprouve, et qui cherche à l’indiquer, renonce aie décrire et utilise une allusion musicale ; voilà le meilleur usage de la musique : elle commence où finissent les mots… « C’était comme si des flûtes, au long de mes jours, eussent joué un thème de Mozart. Je ne cessais jamais d’entendre cette musique idéale ; et Monique Rosavenda dansait sur cet air-là, dansait dans ma vie légère et charmante… » Monique était si futile que parfois il fallait se contenter, en son absence, de compagnies moins élégantes et rencontrer les gens de la moins délicate sorte : « Je les aimais d’être grossiers ; ils me rendaient plus précieux la danse de Monique et les airs de Mozart, exécutés le long de ma vie par un invisible orchestre. » Il y a une musique, dans les romans de M. Edmond Jaloux. Et voici le nom de Mozart, après le nom de Watteau. Une musique de Mozart, le paysage de Watteau : dans ce décor et avec cet accompagnement, la poésie de M. Edmond Jaloux fleurit et s’épanouit, gaie ou triste, gaie d’abord et triste bientôt, digne de la musique et du paysage.

Les thèmes de rêverie auxquels ses personnages cèdent le plus volontiers sont, quelques-uns, les thèmes éternels et dont le temps a pré3ervé la beauté souveraine ; le temps les a même embellis de tous les motifs que les poètes ont inventés et de tout l’émoi qu’ils ont donné à nos aïeux et à nos pères. C’est le thème de la durée difficile et de la fragilité périlleuse. Et l’on dit avec un poète : « Qu’est-ce que tout cela qui n’est pas éternel ? » avec un autre poète : « Aimons ce que jamais on ne verra deux fois ! » Un personnage de M. Edmond Jaloux s’écrie : « O déclin, fin de tout… » Et,