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nostalgique, le soir, à la musique du banjo, son fatalisme simple et sombre, quand le souffle du choléra suit le régiment sous les pluies chaudes, son obscur et grave sentiment du solennel et du religieux, quand il dit : O my Gawd ! Et c’est toute son âme, enfin, et toute sa vie, depuis les dépits, foucades, soubresauts dans le brancard du jeune soldat qui n’est pas « fait, » jusqu’à la belle et saine adaptation du vrai professionnel ; depuis ses premières, immobiles angoisses, dents serrées, sous les balles —


And now the hugly bullets corne pecking ihrough the dust,
And ne one ivants to face them, but every beggar must


jusqu’à l’expérience et la forme achevée du vieux sergent berger qui dans la mitraille sait tenir et pousser, pousser ses hommes, et finalement les enlève à l’assaut :


E’s just as sick as they are, ’is ’eart is like to split,
But ’e works ’em, works ’em, works ’em till he feels ’em take the bit ;
The rest is ’oldin’ steady till the watchful bugles play,
An’ ’elifts ’em, lifts ’em, lifts ’em, through the charge that wins the day ![1]


Ces ballades s’adressaient vraiment aux soldats. Elles furent chantées dans les casernes et les camps de l’Inde, à l’heure « où les hommes allument leurs pipes et se tournent vers le barde du régiment. » Celui-ci pouvait les mêler à ses habituels refrains. Même vocabulaire, même style, mêmes mouvements, même haute couleur de pathétique, même évidence de morale qu’en de naïves images populaires.

Mais ici la main d’un grand artiste se révèle. Car ces traits sommaires sont pleins de sens général : le fonds d’une race y apparaît. C’est d’abord ce qu’on pourrait appeler une certaine masse de l’être spirituel, qui le maintient dans ses directions

  1. Ces vers sont de ceux dont toute la force est dans le rythme, les accents. Ajoutez la notation évocatrice d’un certain langage populaire. Traduits en français, voici tout ce qui reste des premiers :

    « Et maintenant les vilains pruneaux viennent piquer à travers la poussière, — et personne n’a envie de leur faire face, mais chaque pauvre bougre y est tenu. »

    La seconde citation peut se rendre ainsi :

    « Il n’en mène pas plus large qu’eux ; son cœur est prêt à se décrocher, — mais il les travaille, les travaille, les travaille jusqu’à ce qu’il les sente répondre au mors ; — alors il n’y a plus qu’à se tenir jusqu’à ce que sonnent les clairons attentifs, — et il les enlève, les enlève, les enlève dans la charge qui gagne la journée ! »