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comment finit la guerre.

reux que les balles. Par ailleurs, il s’en fallait de beaucoup que le front russe demandât à nos ennemis le même effort et les mêmes sacrifices que le français.

Ainsi, d’une part, nous nous découvrions des ressources de recrutement jusqu’alors insoupçonnées, et, d’autre part, les pertes de l’Allemagne nous apparaissaient énormes : on allait jusqu’à parler d’un déficit de 200 000 hommes par mois pour ce seul ennemi. Une double erreur en est résultée : d’une part, nous n’avons pas tiré de nos colonies toute l’aide qu’elles étaient en état de nous donner, et quand leurs ressources se sont révélées considérables, la question du fret s’est posée et a empêché leur pleine utilisation ; d’autre part, la guerre d’usure nous est apparue comme favorable à notre succès et on a commencé à entendre la funeste formule qui a servi depuis à masquer bien des indécisions, bien des faiblesses, et qui a certainement beaucoup prolongé la guerre : « Le temps travaille pour nous. »

Le haut commandement, toutefois, échappait en partie à ces illusions et se rendait compte que l’usure ne suffisait pas à elle seule à vider les tranchées établies devant les nôtres et que la famine serait impuissante à faire tomber les armes de leurs derniers défenseurs.

Il tâtonnait, cherchant le procédé qui devait nous permettre la sortie des tranchées, d’où les offensives de Lorraine et d’Alsace, coûteuses parce que menées avec une inexpérience forcée, mais qui servaient du moins à préparer l’avenir. En tout cas, il gardait ainsi l’initiative des opérations. Sur tout le front, la vie des tranchées s’organisait aussi par tâtonnements, aussi bien dans la protection que pour l’attaque, et ces tâtonnements coûtaient également très cher. Pendant le premier semestre de 1915, nous avons perdu en moyenne par mois 38 000 tués ou prisonniers et 95 000 évacués : blessés ou malades. Néanmoins, au 1er  juillet 1915, l’effectif de nos armées sur le front s’élevait à 2 663 000 hommes, réalisant un gain de 222 000 hommes en six mois, et la situation restait très favorable.

Le deuxième semestre 1915 creusa de larges vides dans nos effectifs. L’offensive du 25 septembre en Champagne nous coûta 80 000 tués ou disparus et 100 000 évacués. Nos usines de guerre durent se reconstituer et s’augmenter pour faire face à des besoins nouveaux et absolument imprévus : nous attendions une guerre courte, toute de mouvement, et l’approvisionnement