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Conservatoire. C’est en étudiant les classiques qu’on apprend à bien jouer les auteurs modernes. L’ancien langage, avec ses tours différents des nôtres, ses fréquentes incises, exige une diction ferme, nette, dégagée de tout vice de prononciation Les habitudes nonchalantes du parler moderne ne tendent qu’à altérer la délicatesse et le caractère de l’émission, à dénaturer le son des voyelles, à amortir l’accentuation des consonnes. C’est avec les grands classiques, avec les poètes de toutes les époques, qu’il est bon de se former aux sonorités, tantôt viriles, tantôt délicates du verbe français. Une fois prises, ces saines habitudes ne se perdront jamais, et le comédien sera tout assoupli pour bien faire entendre tout ce qu’il devra dire. Le comédien, j’y insiste, ne peut acquérir de la netteté dans son articulation, de la correction dans sa manière de prosodier et se délivrer de cette affectation que donnent, au début, les exercices de prononciation, qu’en s’astreignant à une discipline rigoureuse, à une constante surveillance de soi-même. Pour arriver à bien parler, il faut que l’instrument de la parole soit « mécaniquement » au service de l’esprit, à toute heure. Il en est de même de la mémoire : il faut savoir son texte machinalement. Les mots doivent ne pas sembler compter pour l’acteur ; la situation domine tout. Rien de plus artificiel que ces « ralentissements » voulus de la diction actuelle. Il faut bien qu’on le sache : nos pères parlaient d’abondance ; Bossuet et La Rochefoucauld ne cherchaient pas leurs mots. Et c’est la première tradition concernant les textes du XVIIe siècle. Anonner est une « trouvaille » d’hier.

D’autre part, qu’on ne s’y trompe pas, la tradition à laquelle nous faisons allusion n’est aucunement celle qui consiste à former un acteur à l’empreinte d’un autre acteur, mais celle qui s’emploie à profiter de la science d’un artiste disparu pour en former un nouveau et perpétuer les acquisitions de chacun. La tradition à rechercher est celle qui dérive de la pensée même du poète communiquée à ses premiers interprètes : c’est celle qui explique le caractère, l’esprit du rôle et donne la connaissance des jeux de scène qui le colorent et le fortifient, alors que l’auteur n’a pu tout dire et qu’il a laissé au comédien le soin de compléter ses intentions par son jeu. Une longue succession de représentations a amené, d’âge en âge, des effets qui ont éclairé l’ouvrage ; il serait absurde de les dédaigner ;