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« l’arc d’Ulysse » des sentiments héroïques. Ce précepte exaspère bon nombre d’acteurs et de critiques, je le sais ; mais c’est un fait. Coquelin n’a jamais pu jouer Napoléon, pas plus que MM. Antoine et Gémier, malgré leurs révoltes contre les « aristocraties » de l’art, n’ont pu jouer les héros de l’antiquité ou de Shakspeare. Les théories, les manifestes n’y pourront jamais rien ! La preuve est tangible. Eh bien ! Molière fut au-dessous de sa tâche dans Don Garcie, qu’il se chargea d’ « exécuter » lui-même. Ayant à se mesurer avec des vers dramatico-lyriques, tour à tour dans la grâce et dans la force, il se trouva aux prises avec son système de « débit simplifié, » dont l’insuffisance éclata, dès qu’il fallut l’adapter à son texte « héroïque. » On nie ou l’on ridiculise volontiers ce qu’on est incapable de réaliser ; or, Molière,


… La tête sur le dos comme un mulet chargé,
Les yeux fort égarés, puis débitant ses rôles,
D’un hoquet éternel séparant ses paroles…


Molière, avec sa courte haleine, sa « fluxion » chronique dont il s’excuse fréquemment, devait compromettre son œuvre, comme ses camarades firent chavirer la Thébaïde de Racine. Eternel débat sur les « deux dictions, » si facile à vider pourtant : à savoir, laisser à chaque texte son interprétation adéquate. Quand Molière, deux ans plus tard, fit la charge des acteurs, ses confrères de la troupe rivale, dans l’Impromptu de Versailles, on ne manqua pas de lui répondre assez justement : « Les raisins sont trop verts ! » — car enfin, malgré les exagérations condamnables de quelques-uns des acteurs de l’Hôtel de Bourgogne, à qui fera-t-on croire que les comédiens préférés par Corneille, par Racine, par tous les poètes du temps, fussent aussi grotesques que Molière-Mascarille s’ingénie à nous les montrer ? Il n’osa pas d’ailleurs attaquer Floridor parce qu’il eût déplu en haut lieu ; il ne bafoua guère que les « minores. » Ulcéré par son échec d’acteur tragique, on comprend qu’il s’en soit pris surtout à ses rivaux et à leur manière de « dire. » Il les ridiculisa sur son théâtre, à la manière de MM. tel et tel, directeurs-auteurs de nos libres scènes, qui nous attaquent volontiers soit par leur plume, soit par celle de leurs adeptes, soit par la voix de leurs conférenciers. Tout se recommence ! Ne faisait-on pas la charge de Mounot-Sully dans nombre de