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Mozart peut-être a trouvé, dans le juste accord des deux éléments, l’harmonieuse, élégante et parfaite solution du problème. En toute œuvre, ou chef-d’œuvre, autre que les siens, l’équilibre laisse à désirer, et tour à tour, au cours des âges de la musique, l’un des deux termes de la relation l’emporta. M. Lazzari, comme la plupart de nos contemporains, donne l’avantage à l’orchestre. Sa musique se joue plutôt qu’elle ne se chante. Symphonique, elle a de la force, de la solidité, de la puissance parfois ; plus souvent, compacte et massive, elle s’empâte et s’alourdit. Au premier acte, près de l’éternelle mourante, tandis que la vieille Trine et la jeune Orti mangent une soupe épaisse, dans l’orchestre aussi la cuiller tiendrait debout. On souhaite à tout moment que cet orchestre s’éclaircisse et s’aère. Au second acte seulement (scène d’amour dans la forêt), des lueurs le traversent. Et puis, il a le tort de prendre constamment pour base, au lieu des « cordes, » les « vents. » Base inconsistante et fragile. Cor anglais, clarinette basse et leurs congénères ne sauraient fournir à la symphonie le fond, l’appui qu’elle ne peut et ne doit trouver que dans le vieux, l’éternel « quatuor. » Les Grecs avaient bien raison, qui réservaient la prééminence à la lyre.

En résumé, cette œuvre est dure, elle est pénible. Elle nous oppresse et nous accable. Cependant, pour être juste, il faut réagir et ne pas méconnaître dans la musique de M. Lazzari de sinistres, mais réelles beautés. Elle a vraiment créé, cette musique, les deux figures féminines auxquelles se réduit le drame et que le drame seul animerait à peine. Elles vivent par les sons, l’aïeule et la petite-fille, elles vivent une vie intense, exaltée, l’une proposant, que dis-je, imposant avec une sorte de mysticisme farouche, l’autre acceptant avec une généreuse tendresse le sacrifice dont l’idée envahit par degrés leurs deux âmes, jusqu’à ce qu’elle les possède et les domine tout entières. Deux scènes, deux grandes scènes, duos, ou plutôt dialogues féminins, remplissent, à peu de chose près, le premier et le dernier acte. Elles se répondent, elles se font pendant, comme deux lampes de bronze mortuaires. On ne saurait entendre ou lire seulement sans émotion l’histoire, contée par la vieille sibylle, de la grâce, à la fois salutaire et funeste, naguère accordée par la Vierge à la mère qui l’implora. Le récit d’abord est un modèle de composition et d’ordonnance. Une phrase expressive, en forme de marche funèbre, lui sert de fond ou de soutien ; elle le rassemble, pour ainsi dire, et le fait un. Avec cela, les intonations, les inflexions de la voix, de cette voix toujours grave et profonde, qui tour à tour insinue et adjure, se