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nier encore : « La petite Brothier. » Cette fois, ce serait trop peu dire. En elle ainsi qu’en sa partenaire, drame et musique ont trouvé deux interprètes hors ligne. Vous connaissez le mot de Grétry : « Il y a chanter pour chanter et chanter pour parler. » Les deux jeunes femmes ont également bien chanté de l’une et de l’autre manière.


On rapporte ce trait de Cherubini. Rencontrant un de ses élèves, dont il venait d’entendre un opéra, il garda le silence. « Eh ! bien, maître, vous ne me dites rien ? — Mais c’est que, toi non plus, tu ne m’as rien dit. » Pour la même raison, il n’y a pas beaucoup à dire de Lorenzaccio. Peu de musique là-dedans. Non pas que ce peu soit mauvais. On pourrait épuiser pour cette musique les formules de la courtoisie. Il serait équitable de la nommer sincère, convenable, honorable même. Surtout elle n’a rien d’excentrique, ni de charlatanesque, encore moins d’agressif, d’aventureux, ou seulement de hardi. Si par moments elle trahit l’influence de Massenet, dont M. Moret fut le disciple, d’aucuns ont trouvé qu’ailleurs elle n’est pas sans rappeler la manière, moins personnelle, d’Ambroise Thomas. Et cette dernière analogie n’est peut-être pas déplacée en un drame, — le seul drame shakspearien de notre théâtre français, — dont on a pu, quelquefois et de loin, comparer le héros avec le prince de Danemark.

Transcrit et réduit en opéra, il est fort à craindre que ce drame ne soit parfaitement inintelligible à ceux des spectateurs qui n’ont pas lu Musset. Il y en avait, le soir de la première représentation. De même, le soir de la première représentation du Méphistophélès' de Boito, une dame « s’est rencontrée, » qui nous demanda comment, dans cette version nouvelle, — pour elle au moins, — de l’histoire de Faust, on voyait une Hélène, et si c’était bien celle de la guerre de Troie. Dans Lorenzaccio, les inévitables « coupures » ont fait entre les tableaux, quand ce n’est pas dans les tableaux mêmes, des vides fâcheux. Telle scène ou tel personnage en devient obscur, et tel autre insignifiant. Non pas que la déclamation lyrique manque ici de clarté. Les paroles se laissent entendre ; étant de Musset, pour la plupart, elles font plaisir. L’accent, l’expression, l’éloquence, la vie enfin, voilà plutôt ce que la musique ne leur donne pas toujours. Quelquefois cependant, elles vivent, ces paroles, et elles portent. Il y a dans le rôle de Lorenzaccio maint passage où la voix presque seule, presque nue, agit par la simple et discrète vertu d’une