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l’on peut dire, qu’il faut ici qu’elle frappe. C’est l’orchestre, aussi haletant que la voix ; c’est la hâte du mouvement, la fièvre du rythme et la brusquerie des modulations. Ce sont des arrêts, des cassures, puis des reprises soudaines ; c’est un gémissement chromatique, c’est l’attaque et l’âpre morsure d’une note imprévue et déchirante, ce sont des trilles nerveux et comme affolés, qui semblent rire et pleurer à la fois. Enfin, pour achever, couronner le crescendo général, éclate une mélodie, ou plutôt une mélopée éperdue. Et c’est un trémolo, — rien de plus médiocre, n’est-ce pas ? et de plus vulgaire, — qui la soutient, bien plus, qui la soulève et l’emporte sur une des plus hautes cimes où jamais s’éleva la musique d’amour.

Le dernier acte de la Traviata est l’un des chefs-d’œuvre de la musique de mort. Le plus fidèle serviteur du maître en a commenté l’introduction dans une lettre par nous déjà citée naguère, mais qu’on nous permettra de rappeler, comme un modèle de critique intelligente et sensible à la fois. « Subtil, » nous écrivait Arrigo Boito, « subtil, au sens latin de gracilis, exilis, voilà véritablement l’épithète nécessaire pour qualifier cette page émouvante. Le mot français répond à certaine expression de la langue italienne. Nous disons d’une personne qui meurt phtisique : Muore. del mal sottile. Il semble que ce prélude le dise avec des sons, des sons aigus, tristes et grêles, presque immatériels, éthérés, malades et tout près de mourir. Que la musique ait le pouvoir de réaliser l’atmosphère d’une chambre close, où l’on veille un malade, l’hiver, qui l’aurait pu croire avant que ce prélude fût écrit ? Quel silence ! Quel paisible et pénible silence, fait de sons ! L’âme de la mourante, qui ne tient plus à son corps que par le fil le plus ténu, par un souffle, et qui reprend deux fois, avant de se détacher, son premier souvenir d’amour ! Arte latina ! Arte divina ! divina ! »

Quelque trente ans après la Traviata, l’Otello devait offrir un exemple analogue du même art. Le prélude aussi du dernier acte exprime la tristesse, la menace d’une mort féminine et prochaine. Mais il le fait par des moyens très différents, plus raffinés et plus complexes, par la polyphonie et non par l’unité mélodique. De l’une à l’autre de ces deux pages, également et diversement belles, on peut mesurer le changement qui s’est accompli, sinon dans la nature, au moins dans le langage ou le style du maître d’Italie.


En musique même, les deux questions, l’intérieure et l’extérieure, se posent aujourd’hui. L’Opéra, pendant quelques soirs, a connu les