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trente-cinq milles de fils couvrant vingt-cinq milles carrés. Notre homme fut fort désappointé de n’avoir pas reçu dans ces conditions, cependant vraiment tentantes pour ceux qui étaient à l’autre bout du… sans-fil, le moindre compliment intelligible de Mars. Que voilà donc des voisins dénués d’éducation !

Un autre professeur de la libre Amérique entreprit simultanément de monter en ballon jusqu’à 15 kilomètres de haut pour recevoir plus facilement les martigrammes. Il n’eut pas plus de succès. Ce professeur qui, pour gagner quelque chose sur une distance de quatre-vingt-dix millions de kilomètres, monte de quinze kilomètres au risque de se casser le nez et de perdre le souffle, nous rappelle un des héros de je ne sais plus quel grand écrivain. C’est, si j’ai bonne mémoire, un brave capitaine qui, au cours d’une manœuvre, et devant apprendre à ses hommes l’orientation nocturne, se fait montrer par l’instituteur, qui représente la science dans la compagnie, l’étoile polaire. Puis après avoir regardé un instant la Tramontane toute menue et clignotante là-haut, il s’écrie : « Mais ils vont attraper le torticolis ! Que toute la compagnie recule de cinquante pas ! »

Pourquoi-donc les hommes ont-ils la rage de vouloir qu’ailleurs aussi, et même dans la proche banlieue de notre arrondissement solaire, il y ait des êtres semblables à nous, qui pensent, c’est-à-dire qui souffrent et qui s’entredéchirent ? N’est-il pas, à certains égards, plus sage de considérer la vie organisée comme une contingence protoplasmique aussi éphémère dans le temps que dans l’espace ? N’y a-t-il pas une grandeur peut-être plus hautaine et plus splendide dans un univers impassible, où aucun cri périssable ne vient déchirer cette symphonie muette que font les orbes d’or des astres ?

Et puis, s’il est des curieux de conversations inaccessibles, qu’avant de s’essayer à la causerie interplanétaire ils tâchent de communiquer avec l’âme de nos frères aînés, les animaux, dont un abîme encore nous sépare. Qu’ils tâchent d’abord de rendre pénétrables l’une à l’autre et communicantes, ces urnes hermétiques et sombres qu’on appelle deux cœurs humains !

Charles Nordmann.