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plus cyniques) ont souvent jetée à l’Angleterre : témoignage indirect du prestige que garde, en ce pays, sur les mœurs et l’opinion, l’idée de l’obligation. Il n’est pas dit que sa force efficace dure toujours, qu’elle survive indéfiniment, cette idée, aux dogmes qui en sont le support et Ha figure, mais tant qu’elle persiste, quel principe de self government véritable, quel correctif, malgré tout, d’un système politique dont le danger de plus en plus visible est le règne organisé des appétits particuliers !

Mais la démocratie anglaise est singulière. Si « avancée » qu’elle soit à tant d’égards, si travaillée de ferments nouveaux, dans sa substance profonde, dans son fond le plus peuple, elle reste encore imbue de pensée et de sentiment religieux, voire piétistes, — et d’autre part, dans ses mœurs et ses idéaux, par un paradoxe qu’un pénétrant observateur d’outre-Manche déclarait incompréhensible à l’étranger, on peut reconnaître des éléments d’origine aristocratique. « Démocratie d’aristocrates, » disait de son côté Kipling. Même illogisme de la forme constitutionnelle. Car, si le gouvernement du peuple par le peuple a toujours eu des apôtres de l’autre côté du détroit, le suffrage universel y est d’hier ; on y trouve toujours une Chambre des Seigneurs spirituels et temporels, des majorats fondés sur le droit d’aînesse, une Église établie et riche en bénéfices qui remontent au moyen âge, un Roi qui en est le chef, dont l’autorité morale participe du sacré et s’atteste, aux séances du Parlement, à la présence dorée de sa masse d’armes. En somme, il n’y a pas dix ans que la Grande-Bretagne a vraiment commencé sa Révolution, et il a fallu le mouvement critique provoqué par la guerre du Transvaal pour que l’on voie de grands écrivains poursuivre des campagnes qui, dans un temps, dans un milieu, par des moyens si différents, sont les analogues de celles de Hugo dans les Misérables, de Michelet dans le Peuple, de George Sand dans Indiana.

Au milieu de ces nouveaux apports, l’œuvre d’un Rudyard Kipling apparaît comme le dernier grand affleurement du granit intérieur, de la profonde assise morale de l’Angleterre.


Jamais, peut-être, la pensée qu’il transmet à son tour ne s’était présentée sous des apparences si anglaises. Par exemple,