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musicien, se trouvent être également simples, bien bourgeois, avec des petites mines, des habits modestes, que La Bruyère, bien que précepteur d’un prince, est demeuré aussi bonhomme qu’au temps où il logeait dans une mansarde séparée en deux par une tapisserie, il faut voir notre auteur s’attacher aux pas du flûtiste, l’examiner, le suivre, et, le plus adroitement du monde, « l’amener à parler[1]. »

Le fait est qu’entre eux il y a cette affinité, ce rapport discret, mais intime des fleurs et des jardins. Un détail dont on ne se souvient pas assez et qui pourtant a sa valeur, c’est que La Bruyère, gentilhomme de M. le Prince et l’un des quarante de l’Académie, portait blason « d’azur à deux racines de bruyère. » Descôteaux, lui, n’avait pas d’armes ; mais, s’il en eût possédé, elles eussent été « nuancées, bordées, huilées, à pièces emportées, » et telles que l’auteur des Caractères veut que soient les tulipes : une musette de Poitou et une flûte s’y seraient vues, croisées dans les fleurs ; et comme, après tout, ce sont là de belles armes pour un musicien, le flûtiste et le philosophe, tandis qu’ils traversent Paris pour atteindre au « petit jardin du faubourg, » n’en ont pas fini de deviser sur cet instrument.

Tantôt, c’est de flûtes d’Allemagne ou traversières qu’ils parlent, ou de flûtes de Suisse. Il y en a de petites et de grandes. Les unes sont légères, plaintives : ce sont les flûtes douces ; les autres plus élevées, plus graves : ce sont les hautbois. Puis, il y a la flûte basse, la flûte longue ou courte donnant la tierce ou l’octave et jouant en la, en , tandis que les clarinettes jouent en ut, en fa. Enfin, il y a les pipeaux, les chalumeaux dont jouent les bergers de théâtre dans les pastorales et dont l’air si simple, si chaste, d’une seule venue, est pur comme un ciel d’été.

La Bruyère, enveloppé de son manteau, affectant cet air grave et méditatif, pesant et « un peu soldat » qu’on lui a reproché, écoute le flûtiste. Il l’écoute. Mais le flûtiste est aussi un fleuriste. Et justement, voilà le « faubourg, » ce faubourg Saint-Antoine où, selon le sieur du Pradel auteur du Livre commode des adresses de Paris, habitent plus communément « les jardiniers qui font commerce de fleurs, arbres et

  1. Ed. Fournier : la Comédie de J. de La Bruyère.