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n’eussent peut-être pas été suffisants pour déterminer des négociateurs aussi « pratiques » que ceux de nos amis d’Angleterre. Je n’ai pas beaucoup parlé jusqu’ici du côté purement politique de la question, convaincu que le lecteur sait fort bien, après dix-huit mois de discussions sur les objectifs divers que poursuivent les Puissances engagées dans le conflit de 1914 à 1918, que la Grande-Bretagne, brusquement ressaisie de craintes analogues à celles qu’elle éprouvait, il y a à peine un siècle, ne pouvait se montrer favorable à l’idée de desserrer les entraves qu’elle avait elle-même imposées à l’Etat belge, cet État restant toujours suspect de complaisance, spontanée ou non, pour la France.

N’en disons pas davantage. Il est des sujets sur lesquels il vaut mieux ne pas s’appesantir.

Mais il y a autre chose ; et là nous changeons de point de vue, nous envisageons des intérêts économiques immédiats, pressants : il y a la question du pétrole, dont j’ai déjà signalé ici l’importance capitale pour l’Angleterre elle-même, — la grande puissance charbonnière ! — Et l’opinion belge aperçoit nettement dans la partialité de nos Alliés d’outre-Manche en faveur de la Hollande l’intérêt qu’ils attachent à se ménager la bienveillance de la Nation qui détient les inépuisables sources de combustible liquide de la Malaisie et qui ; au demeurant, a des concessions de régions pétrolifères en Mésopotamie, antérieures à la dernière guerre[1]. Et il faut avouer que les événements qui se passent en ce moment même au Sud du Caucase et au Nord de la Perse sont bien faits pour convaincre les dirigeants de l’Empire britannique de l’impérieuse nécessité de se concilier les bonnes grâces du très puissant trust hollandais dont les entreprises s’étendent jusqu’au Mexique et à l’Amérique du Sud, en passant par la Roumanie et bientôt sans doute par l’Ukraine et la Galicie.

  1. A la fin de mai, un grand journal de Gand s’exprimait ainsi : « Au dire des princes de la finance anglaise et des dirigeants de l’Empire britannique, l’existence de cet empire dépend de ses approvisionnements d’huile, indispensables aux navires, aux automobiles, aux avions. Or, la Grande-Bretagne ne dispose par elle-même que de 2 pour 100 de la production mondiale. Il est vrai que la Mésopotamie est très riche en sources de pétrole ; mais ces sources ne seront mises en pleine valeur que dans cinq ou dix ans. D’ici là, l’Empire risque de souffrir d’une disette d’huile combustible, s’il ne se concilie pas les dispensateurs de ce précieux produit, soit la « Standard Oil company » américaine, soit la « Royal dutch » hollandaise. »
    Mais il convient d’ajouter, — et ceci vient à l’appui de ce que je disais plus haut, — que ta « Standard Oil » tend de plus en plus à ne servir que ses clients purement américains, dont les besoins grandissent tous les jours.