Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’énergie, nous serons bien près de toucher au but. Des vainqueurs qui s’abandonneraient après la victoire se montreraient indignes de l’avoir remportée; des Alliés qui se diviseraient dans le règlement de la paix compromettraient la paix. Pour assurer l’exécution du traité de Versailles, ou d’un traité quelconque, il est, avant tout, nécessaire que les Puissances qui en ont imposé la signature aux vaincus demeurent étroitement d’accord à l’heure des réalisations. Et je ne veux pas parler seulement d’une bonne entente occasionnelle, qui puisse faciliter la solution de telle ou telle question particulière; il faut quelque chose de plus : pour reconstruire le monde bouleversé, nous avons besoin, comme le répétait le Times ces jours-ci, de maintenir entre nos Alliés et nous cet esprit de solidarité qui seul nous a permis de gagner la guerre.

Il est d’un intérêt vital pour chacun des peuples vainqueurs de ne laisser subsister, entre lui et les autres, aucun malentendu. Le moment est venu des explications amicales. S’il y a encore en Grande-Bretagne des personnes mal informées qui se représentent, de bonne foi, la France comme une nation impérialiste, affamée de conquêtes ou obsédée par le rêve d’asservir économiquement l’Allemagne, ne négligeons rien pour les détromper. S’il y a, en France, le sentiment assez général que le gouvernement britannique a poursuivi, depuis l’armistice, à Constantinople, en Asie-Mineure, en Russie, et en Allemagne même, une politique trop solitaire et exagérément égoïste, que l’Angleterre n’hésite pas, de son côté, à convaincre les Français qu’ils se sont mépris sur ses intentions. Jamais les négociateurs des deux pays n’ont eu besoin de plus de confiance mutuelle. Le premier ministre anglais, qui est l’intelligence même et que sa sensibilité tactile avertit de tous les courants atmosphériques, a certainement déjà compris que la France n’était pas toujours si mauvaise conseillère.

M. Lloyd George a rendu, pendant la guerre, d’incomparables services. Ses dons exceptionnels, sa grande expérience de la tactique parlementaire, cette sorte de magnétisme qui se dégage de sa personne, cette verve celtique qui donne tant de charme à son éloquence, ont fait de lui, dans les temps les plus difficiles, l’admirable interprète de sa nation et l’excitateur des plus belles vertus anglaises. S’il veut revenir maintenant à la conception qu’il a eue de l’Alliance pendant tout le cours des hostilités, la France est prête à expulser de sa propre mémoire quelques souvenirs désagréables et à ne se rappeler que les bons procédés dont l’Angleterre lui a donné tant d’exemples.