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Où sont-ils ? ils sont là, tout autour de la ville,
A l’est, à l’ouest, au sud, au nord,
Arrivés du matin comme un troupeau docile,
Sans tumulte, sans cris, sans attente fébrile,
Calmes comme ils l’étaient en face de la mort.

Ils ont suivi l’ordre de route,
Ils sont présents au jour fixé,
Et le cheval du dragon broute
L’herbe poudreuse du fossé.

Quelques-uns plissent les paupières,
Debout devant un feu qui craque entre deux pierres ;
Ceux-ci, dans une cour où brillent des faisceaux,
Frottent des cuirs, portent des seaux,
Ceux-là, le torse nu, se lavent sous la pompe.

Ils sont indifférents à tout ce qui nous trompe,
A tout ce qu’on entend comme à tout ce qu’on lit…

Une vapeur au loin salit
Le bord de l’horizon qui tremble.
Paris s’allume au fond de ce gouffre écumeux.
Alors, soudain troublés, levant la tête ensemble,
Ils regardent là-bas ce pan de ciel fumeux
Qu’emplit une rumeur profonde,
Comme des voyageurs au seuil d’un autre monde.

* * *


Nous, cette nuit, ne dormant pas,
Nous écoutons le bruit des pas
Déferler entre les murs sombres…

Voilà huit mois déjà que nos maux ont pris fin,
Et nous cherchons encore au milieu des décombres
Cette paix dont nos cœurs ont faim.
Quand un brusque silence est tombé sur nos lignes,
Qu’attendions-nous ? quels nouveaux signes
Plus purs que l’arc-en-ciel au-dessus des forêts ?