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termes, un état de militarisation complète. Ces deux conditions primordiales ne se sont trouvées réunies que sous le règne de Guillaume II. Ace moment-là, moment unique, les dirigeants purent penser que le peuple tout entier, tel le peuple d’Israël, marcherait derrière la colonne de feu, derrière le mythe flamboyant qui illuminait les cerveaux et galvanisait les volontés. De là l’effroyable déclenchement de cette guerre ; de là ce phénomène social assurément grandiose, dont le souvenir fait encore frissonner nos âmes et dont Wells a si exactement décrit x l’ampleur et la solennité tragiques.

On sait quelles sont les théories qui constituent le pangermanisme. Elles se groupent autour de trois affirmations fondamentales : la philosophie allemande est celle qui a le mieux pénétré les secrets de la vie organisée et des réalités sociales ; la religiosité allemande est celle qui réalise le mieux l’idéal chrétien ; la race germanique est d’essence supérieure et doit régénérer le monde. Ces trois affirmations se ramènent à une seule : l’Allemand a au suprême degré le sens de l’organisation. Que ces théories aient donné lieu à un programme de conquêtes continentales et coloniales, c’est naturel. Au moment de la plus étonnante expansion que le monde ait vue, il était normal que les géographes et les historiens vinssent à la rescousse des métaphysiciens, des théologiens et des sociologues pour affirmer que la répartition actuelle du globe était insuffisante et provisoire, que l’Allemagne n’avait pas encore sa légitime part, qu’elle devait égaler son rêve spatial au rêve spatial anglo-américain. Il était bon, alors, de démontrer que les Allemands ont les vertus des plus grands peuples de l’histoire, des Grecs et des Romains en particulier, d’élaborer la théorie de l’Etat tentaculaire et d’échafauder sur elle un programme continental et colonial. Le premier voulait agréger à l’Allemagne, en Europe, les pays dits « germaniques » qui en étaient encore séparés, refouler aussi loin que possible la France et la Russie, constituer l’Europe centrale sous l’hégémonie allemande, le tout contre la France, qu’il s’agissait de saigner à blanc et de mettre à jamais hors de combat ; contre la Russie, qu’il fallait couper de la Mer-Noire et du slavisme austro-hongrois ; contre l’Angleterre, qui devait être éliminée du continent et dépouillée de la maitrise des mers ; contre les États-Unis, en face desquels on organiserait les États-Unis