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éprouver les mêmes alarmes ! Notre sol enfin reconquis, n’allons-nous pas reconquérir notre génie, et notre art, et notre âme ! Des œuvres comme la Légende de saint Christophe ne sont pas de celles qui peuvent nous les rendre. Plutôt que de nous guider, elles nous détournent, elles nous égarent. Il est permis au moins de le croire et de le craindre. Et puis, et surtout peut-être, quand l’âge vient, quand il est venu, il nous semble parfois que le cours ou le courant actuel des choses, même des choses musicales, nous dépasse et nous déborde. Serait-il donc vrai que l’idéal de notre pays puisse un jour nous devenir étranger, pour ne pas dire contraire !


Ma maison me regarde et ne me connaît plus,


ou c’est nous qui ne la connaissons plus, notre maison natale, notre maison française. Et cela ne va pas sans une grande mélancolie.

Que les décors de Saint-Christophe représentent une maison, voire un palais, ou que ce soit un paysage, ils nous semblèrent également d’un goût et d’un style qui n’est pas le nôtre. S’il est en train de le devenir, fassent les dieux qu’il ne le demeure point ! Au contraire, c’est à la française que chante et déclame encore M. Delmas (l’Ermite). M. Franz (Auférus-Christophe) parut aux yeux gigantesque à souhait, mais un peu tout d’une pièce. Belle autant que robuste est sa voix, et sa diction nette. Différente est la diction de Mlle Germaine Lubin (Dame de Volupté, puis Nicea). Dans le double rôle du « Roi de l’Or » et du « Grand Juge, » l’interprète (M. Rouard) nous parut supérieur au personnage. Chaleureux compliments à l’orchestre, dirigé par M. Ruhlmann. Et que de peine doit donner une aussi difficile direction !

La journée du 23 juin fut bonne pour les musiciens. On entendit Cosi fan tutte à l’Opéra-Comique ; puis, à la Sainte-Chapelle, la Messe « du Pape Marcel. » Un auditeur des deux chefs-d’œuvre s’en félicitait. « Oui, mais alors, » observa l’un de nos compositeurs, et des moindres, « il ne restera plus de place pour nous ! » Il avait tort : entre Palestrina et Mozart, il reste encore de la place, ou des places. À moins qu’il n’eût raison : elles sont occupées.

La messe « du Pape Marcel ! » Il est peu de personnes qui ne la connaissent au moins de nom. Il y en a beaucoup peut-être qui ne la connaissent pas autrement. Les unes et les autres viennent d’avoir une magnifique occasion de l’entendre. Le chef-d’œuvre de Palestrina fut interprété à la Sainte-Chapelle par un chœur d’hommes et par un chœur d’enfants, élèves — ceux-ci — de la Cantoria. Tel est le nom