Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soleil est sans force, quand il n’y a plus, dirait-on, dans la forêt, de vie que celle du souvenir, quand, des feuilles rouges et mouillées qui commencent à feutrer le sol, monte dans le soir la faible et pénétrante senteur que l’on respire en frissonnant.

Si c’est vraiment l’arrière-été d’Octobre, comme ce sentiment s’approfondit ! Comme l’âme de cette terre bretonne se dégage, comme son charme agit avec puissance ! Ces derniers beaux jours ensoleillés de l’année, que commencent à traverser les brumes et les tempêtes de l’hiver, ces derniers beaux jours si brefs, si menacés, semblent plus beaux. Et puis la mer aussi est plus émouvante. Elle aussi, dans une lumière oblique et sans chaleur, prend ses aspects plus pâles d’automne.


Je me rappelle mon arrivée dans ce Finistère Sud, en une autre saison, au commencement du bref été, — il y a tant d’années qu’il me semble que j’étais un être différent ; mais la façon de sentir ne change pas, et l’impression que je reçus de ces paysages est celle que j’en éprouve encore, chaque fois que j’y reviens. De la Bretagne, je n’avais connu, depuis les temps où ma bonne me promenait à Brest, sous les grands arbres tristes des remparts, que l’extrême Léon, si ras, si sombre, depuis la rade et le Goulet jusqu’au tournant de la Manche et de l’Océan, jusqu’à l’extrême côte sauvage où s’estompe à peine, au fond de l’horizon, le fantôme brumeux d’Ouessant. Une contrée perdue, que l’on eut dite inhabitée, où de fines, sévères aiguilles de clochers se lèvent seules, de loin en loin, sans villages visibles, derrière les longues montées de lande ; un sombre pays, où le tourment ou bien le souvenir du vent met partout une frissonnante émotion. Vraiment la fin de la terre devant les infinis gris de l’Océan.