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sous l’eau : une vraie cale de marée basse, où l’on peut débarquer avec son poisson à toute heure. Et voici les choses terrestres, les chaumières, à l’abri des grands arbres, le lavoir, la chapelle, dont le toit bosselé par le grand âge descend d’un côté jusqu’à l’herbe de la pente, comme une aile maternelle abaissée sur une couvée : tout cela si humble, si paisible, sous les beaux ombrages, dont le vert épaissit de son riche reflet le vert de l’eau marine, — tout cela, petit havre, petite chapelle gothique où des pêcheurs du moyen âge ont prié, tout cela, qui sort du profond passé, se chauffant doucement au soleil automnal d’aujourd’hui.


La Bretagne attire comme l’Orient. Mais dans ces vieux pays, ce que nous venons chercher n’est pas ce que désiraient les romantiques. Aujourd’hui les âmes ont besoin d’ordre. Du milieu de nos confusions, du sein de notre monde trop vaste, nous aspirons à tous les souvenirs d’un temps où la vie des hommes était réglée, modeste, appuyée à la foi, à la coutume, de vision limitée, chacun arrêté dans sa forme, d’accord avec lui-même, avec son groupe et la nature environnante.

Voilà pourquoi j’aime tant ce hameau de marins. Il m’apparaît comme le type de tout ce qui fait la Bretagne si touchante, de ces harmonies séculaires de l’homme et de la nature, que l’on aime avec le cœur parce qu’elles correspondent à des habitudes ataviques, à des modes généraux de vie qui furent ceux de nos ancêtres, et que nous regrettons sans le savoir. Ces chaumières, dont les lentes fumées ont monté tous les jours, depuis si longtemps, sous les grandes ramures, sans que rien indiquât jamais que des vivants s’arrêtaient de vivre et que d’autres apparaissaient ; cet oratoire rustique, ce mur gris du quai, dont la pierre mangée de lichens se mêle, parmi lus racines énormes d’un chêne, aux saillies du rocher ; ce lavoir, sous la source, où la Sainte-Vierge dans sa niche entend toujours les mêmes caquets bretons ; ces vieilles cales disjointes où la mer soulève du goémon, on dirait que ces choses, de tout temps, ont fait partie de cette petite côte, aussi naturellement que ces goémons, cette source, ces rochers, ces ramures. Un peu de vie humaine s’est posé là, il y a bien des siècles, associé pour toujours à la vie de cette terre. Elle en a la simplicité, la