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grise des vieilles chapelles du pays. Comme il ajoute à l’aspect vénérable et breton de ces bois !

À cette pointe de Penfoul, un bateau de pêche, certainement venu de la mer, était mouillé, plein d’agrès, vide, mystérieusement, de tout équipage. Et cette présence accroissait encore la solitude.


Je suis descendu là, sur une primitive cale de rochers où l’on glisse sur les varechs. J’ai gagné le taillis, et suivi, sans la perdre tout à fait des yeux, la rivière. Etrange impression de ce vide lumineux, entrevu de l’intérieur de la forêt. De longues frondaisons y projettent leur ombre, car les pins de la rive, les plus magnifiques de tous, ont obliquement poussé, subissant l’attirance du miroir liquide. Dans le bleu de leurs intervalles, au milieu de leurs branches, un noir sardinier tirait des bords, en montant contre le vent. Le flot commentait à s’élargir. Cette grande eau massive, au lustre d’huile, on voyait bien que c’était la mer, chargée de sel, quelque chose du solitaire Océan qui s’insinuait, montait dans le pays breton. Un oiseau pêcheur jeta trois longs cris aigus, plaintifs. Dans l’intimité des bois qui sentent la girolle, la mousse, la feuille morte, l’automne, quelle anxiété de ce lointain appel ! Comme cela évoque la désolation, l’humide nudité des grèves ! C’est la voix même de la mer, et cela étonne aussi, comme, tout à l’heure, sur l’eau lourde, sur l’élément venu du large, les graves clameurs des corbeaux faisant sonner la solitude.

Dans une minuscule clairière, une chambre de verdure, plutôt, presque close entre des murailles de houx, une inquiétante vision m’arrêta soudain. Des humains, — mais que l’on pouvait prendre pour des morts, — gisaient là, sur la terré. Ils étaient cinq, un mousse et quatre hommes de forte stature. Immobiles, les yeux clos, dans les bruyères, qu’ils étaient loin de nous, perdus dans l’obscur néant du sommeil ! Les rudes traits, modelés par leur vie monotone de marins, se livraient. On pouvait se pencher sur eux, suivre les lentes, léthargiques respirations. Une bien saisissante apparition, ces figures inanimées, dans le silence de ce lieu presque fermé. L’impression de mystère, d’enchantement, qui vous suit partout dans ces campagnes, se précisait. On eût dit qu’ils s’étaient endormis, il y a