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très longtemps, avec tout le pays de la rivière, et qu’ils ne se réveilleraient qu’avec lui.

Simplement l’équipage de ce bateau, Notre-Dame du Bon Conseil, du Guilvinec, que j’avais vu mouillé sous les rochers de la pointe. Ils avaient dû passer la nuit en mer, à poser des casiers. Peut-être des senneurs, des pêcheurs de mulets, qui attendaient le soir pour tendre leurs filets autour de la rive.


Une demi-heure de marche, sur un sentier feutré, où le pied, en cette saison, écrase des châtaignes dans leur coque, et j’ai vu reparaître devant moi les vides bleus. Une autre lisière marine s’allonge, par-là, dans une direction inattendue, sous la feuillée d’automne.

C’est l’un des bras que la rivière enfonce çà et là, au plus secret de la campagne. Une petite anse, profonde à peine d’un kilomètre, et qui, si l’on descend jusqu’aux derniers arbres, se laisse embrasser tout entière. Encore un domaine à part, mais si différent des solennelles régions d’où nous venions ! La mer s’y fait toute champêtre. Au lieu des sombres écrans que tendent les pins éternels, au lieu des tapisseries dorées des marronniers, je ne voyais plus que du simple pays breton : des chaumes, des champs de lande, aux tons de miel trop mûr, en pente douce jusqu’à l’ourlet des varechs. Tout au fond, l’eau que la marée poussait encore, devenait plate comme celle d’un étang, sous des flocons jaunis d’écume. Elle vient mourir là, tout humble, devant des arbres presque humains : petits pommiers et pruniers, chênes paysans que l’homme ébrancha pour qu’ils ne couvrent pas d’ombre ses cultures.

Un murmure, un ronron sourd, plutôt, très faible et continu, venait de la ferme dont se montrait un peu la toiture, il emplissait tout le petit monde qui s’enferme entre ces coteaux ; il flottait au-dessus de toute l’anse, et semblait y flotter depuis toujours. C’était comme le faible bruit d’une vie isolée, attardée là, ignorante des changements du monde, et que l’on serait venu surprendre. Une vie très ancienne. Sans doute, avant cette pauvre maison de ferme, il y en eut d’autres dans les siècles successifs, et toutes pareilles, à la même place favorable. Rien n’a moins changé que ces simples gîtes paysans.

Et ce toit, dont on ne découvrait, par-dessus les pommiers,