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la toile qui enchaîne l’œuvre des hommes à l’œuvre des grands hommes et celle-ci à la volonté créatrice de la Divinité.

Que sont donc les Saints ? — Ceux qui ont rendu un grand service à l’humanité ?

Sans doute. Mais il faut en outre que cette bienfaisance ait été suscitée en eux par un grand amour, par une subordination directe et volontaire aux lois profondes qui gouvernent le monde. Tous les grands hommes ne sont pas des saints. La sainteté, c’est la vertu conduite, les yeux au ciel, par la foi et la charité.

L’humanité a un intérêt immense à ce que certains de ses membres soient élevés au-dessus d’elle-même et se trouvent préposés, en quelque sorte, à la garde de ses relations avec l’Idéal et l’Infini. C’est par eux, en effet, qu’elle conserve ses titres de noblesse, cette haute généalogie qui la distingue des autres espèces animales et qui la tient en un constant appétit de perfection, c’est-à-dire de fidélité à ses origines.

Son intérêt est grand aussi à ne pas se maintenir, à l’égard des meilleurs parmi les siens, en état d’indifférence ou, pis encore, d’ingratitude. Or, c’est ce qui arriverait, si l’on s’en rapportait au verdict des contemporains relativement aux meilleurs serviteurs de l’humanité. D’ordinaire, ceux-ci ont été mal compris, ils ont été méconnus : souvent ils ont été livrés à la calomnie, à l’intrigue, à l’hostilité des médiocres ou des foules. Souvent la haine de leur apparition les a poussés jusqu’au martyre. Or l’humanité sent profondément cette blessure qu’elle s’est faite à elle-même. Une seule injustice ébranle tout l’ordre social. Quand de telles erreurs ont été commises, un remords croissant tourmente les générations successives, même celles qui pourraient se croire non responsables. Un jour ou l’autre, l’heure de.la réparation doit sonner.


Quoi de plus frappant que la destinée de Jeanne d’Arc après sa mort ? Les siècles ont attendu. Mais plus l’attente se prolongeait, plus la plaie saignante s’élargissait. A la fin, ce n’était plus seulement une partie de la France ou la France seule qui criait justice, c’était l’humanité. Non seulement les héritiers de ceux qui l’avaient abandonnée mais, chose bien plus extraordinaire, les adversaires, les neutres, les indifférents, les nouveaux venus. De cet appel, le monde entier retentissait. Même avant la canonisation, on élevait des statues expiatoires en Amérique à Jeanne d’Arc.