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reviennent, les mêmes oppositions du deuil et des tons éclatants : c’est la juste transposition dans le mode masculin du costume des femmes. Mâle et femelle, vieille ou jeune, partout, ici, je vois la même créature[1].

Et dans cette puissance de l’aspect spécifique, dans cette simplicité des traits façonnés par des idées, habitudes pareilles, le sens des figures s’agrandit et prend une valeur de symbole. C’est encore une analogie de la vieille humanité bretonne et des peuples d’Orient : les conditions, les âges de la vie humaine s’y présentent sous leurs traits essentiels, en aspects quasi schématiques. Ces marmots, aux prunelles si vagues, aux boucles blondes sous le béguin d’argent, ces délicieux totons de pulpe si fraîche, dont le corsage tient encore du maillot, n’est-ce pas toute l’enfance, aussi neuve et parfaite, aussi éternellement la même que chez les jeunes animaux ? En voici un qui chancelle dans sa robe-sonnette ; il s’agrippe à la robe pareille de sa mamm. Elle le prend et le baise, et ses simples yeux disent toute la maternité comme ceux des douces mamans chattes ou brebis. Et voici l’autre âge de l’enfance, plus enfantine et touchante dans les pesants costumes : les gamins en large pantalon noir, bref habit, gilet brodé, chapeaux à trois boucles et six queues de ruban, comme les anciens, -— et les fillettes, graves, en flamboyant poitrail carotte, comme leurs grandes sœurs. Et celles-ci, les reines de la fête (il n’y a pas de pays de France où la jeune fille soit reine comme en Pont-l’Abbé), les coquettes, les belles, amies des rubans, de la danse et des galants, qui vont toujours par dix et par douze, comme prêtes à des rondes, me figurent le bref moment de la floraison dans une certaine race, quand toutes les forces de l’être s’accordent pour se tourner en séduction. Quelle profusion de ces rudes et calmes fleurs ! Quelques belles sont vraiment belles, d’un blond flambant de bétail, avec un lustre profond de leurs grands yeux sous l’arc épais des sourcils. Magnifique énergie dormante. Rien de plus copieux et de plus simple. C’est toute

  1. Au moment où cette impression fut notée, les marins n’apparaissaient pas dans la masse paysanne. Assis par terre, en rang, sous le petit mur Nord de la chapelle, ils formaient un groupe à part. Ils sont, d’ailleurs, du type général dans le pays bigouden, et leurs femmes portent le costume. Si on allait, en octobre, au pardon de Tronoën, dont l’oratoire touche presque à cette grève, on n’apercevrait exactement que des paysans. De même pour les pardons bigoudens de la Clarté, de la Tréminou, de Saint-Jean de Trolimon.