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au petit jour gris, et souvent s’effacent dans la brume. »

Pieds nus, en corps de chemise, ils défilent, ces rudes hommes, pour l’honneur et le service de Celle qui leur personnifie toute pitié et toute chasteté. Voilà le propre du christianisme. Il a mis au-dessus de tout des figures qui sont des types de perfections que l’homme n’atteint qu’en se dépassant ou en s’oubliant lui-même. Une série de générations ont adoré, comme sommet des choses, des puissances qui disaient « non » à la force, à l’instinct, à la nature. Quelle discipline et quel entraînement à l’effort !

Derrière les marins, il y a des femmes en tenue rituelle aussi, déchaussées, le haut du corps en chemise ou blanche camisole : leurs femmes peut-être, ou bien des paysannes qui remercient pour un enfant, un mari guéri. Alors recommence l’ordinaire procession des ouailles : — comme le mot semble fait pour ce long troupeau aux têtes simples et pareilles, pour ce docile peuple de femmes qui chemine, quelques-unes clopinantes comme les brebis entravées au talus de la grève !

Paraissent les porte-croix, marguilliers, acolytes, chantres. Un groupe étonnant, et comme on en voit presque toujours, d’ailleurs, dans les processions. Je ne sais pourquoi, de tous les laïques d’une paroisse bretonne, ceux-là, sacristains, fabriciens, sonneurs, qui participent le plus de la religion, présentent toujours les types les plus anciens, les aspects les plus médiévaux. On dirait qu’on les a conservés depuis des siècles pour leur office : leurs rudes calottes de cheveux tombent en rond sur leur nuque ; ils ont d’énormes sourcils en buisson ; souvent des besicles ajoutent à leur mine de puissance benoîte et recueillie, de sagesse cléricale. On dirait des magisters, des donateurs du XVe siècle, mais rudes et paysans. Férus de religion, absorbés par l’importance de leur fonction, ils chantent, prolongent, mugissent, plutôt, les Domus aurea, les Turris eburnea… Comme ils nous signifient la force appuyée à l’inébranlable foi, la forme à jamais assurée par l’obéissance à la tradition !

Enfin le moment culminant, l’apparition du groupe sacré, le recteur, engoncé dans sa chape, élevant devant lui l’ineffable présence, avec le soleil d’or dont l’irradiation force toutes les têtes à se baisser. Le long des deux haies vivantes, ce geste se propage. Et c’est, visible, l’assentiment de cette vieille société catholique et paysanne à son principe