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pieds, noir, doté d’un grand tiroir et de quatre petits, et d’une molesquine verte sur la planche qui se tirait pour écrire.

Je le reçus avec une suprême indifférence ; maman me fit valoir les qualités sérieuses et diverses de ce meuble ; moi, je trouvais que j’écrivais très bien sur la table du petit salon, et j’estimais que mes livres n’encombraient pas la commode de maman. Je m’endormis, convaincue que mon vieil ami allait arriver déjeuner le lendemain avec un séduisant cadeau sous le bras. Il arriva les mains vides, et son bon visage habituel me parut tout à coup détestable ; devant mon silence de mauvais augure, maman m’engagea avec calme à remercier M. Dabout de ses charmantes étrennes si utiles. Une tempête, une trombe, un cyclone ne se déchaînent pas plus soudainement que moi ce jour-là :

— Ah ! c’est cela, ton cadeau ! Eh bien, il est joli ton cadeau, je t’en fais mon compliment ! Tu peux le remporter, ton cadeau ! Non, mais a-t-on l’idée de donner à une petite fille pour ses étrennes un objet de travail ? Mais une chose pour travailler n’est pas un cadeau ! etc. etc…

Maman, qui prévoyait beaucoup, n’avait pas prévu cela ; il y eut un moment d’embarras général ; mon vieil ami cherchait un point d’appui dans l’espace, bégayait, s’excusait, offrait de faire changer le malencontreux bureau par le magasin !

Malheureusement, j’avais l’éloquence courte ; et bien que bon papa parlât toujours de la dignité avec laquelle je me tirais des situations délicates, je ne sus pas me tirer de celle-là ; au comble de l’émotion, je me mis à pleurer ; quand les enfants pleurent, les parents reprennent le dessus.

Maman, seule coupable de ce fameux bureau, accabla mon vieil ami d’excuses, de remerciements ; bonne maman renchérit ; on se moqua de moi abondamment ; bon papa fut sans doute spirituel et le déjeuner délicieux.

J’aime mieux ne pas me souvenir de la suite de ce néfaste jour de l’an.


VI. — L’AVENUE HENRI MARTIN

Les enfants qui habitent le cœur de la ville sont las des squares poussiéreux et soupirent après ce bois de Boulogne lointain où on les mène un dimanche, par hasard.