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en apparence les plus détournés du but final, qu’on a réussi à la mettre sur pied : c’est par la politique coloniale que la France est rentrée et a repris son rang dans le domaine de la grande politique continentale ; c’est la politique coloniale qui a révélé au monde les ambitions réelles de l’Allemagne, qui a prévenu l’esprit des Français du péril extrême vers lequel ils étaient acheminés, et qui, la crise éclatant, a fourni à notre pays quelques-uns des instruments et des hommes qui ont le plus efficacement contribué au succès.


III

Les anciens lecteurs de la Revue se rappellent certainement les hésitations, les répugnances et l’hostilité que rencontra à ses débuts le réveil de l’action coloniale française : si les socialistes ont été seuls, en ces toutes dernières années, à s’opposer à nos desseins sur le Maroc, les simples radicaux, la droite, voire certains républicains modérés, s’unissaient volontiers à eux pour s’opposer en 1881 à l’expédition de Tunisie, en 1885 à celle du Tonkin, en 1893 à celle de Madagascar. L’esprit de parti et d’opposition systématique y était assurément pour beaucoup, mais aussi, chez quelques hommes de bonne foi, la crainte de nous voir entraînés dans des complications asiatiques ou africaines qui distrairaient une partie de nos préoccupations et de nos forces du péril toujours redouté à nos frontières de l’Est. Et j’entends encore un de nos vieux routiers parlementaires, qui pourtant avait vécu l’Année terrible, Léon Say, s’exclamer dans les couloirs du Sénat, quand l’échec de Lang-Son culbuta le cabinet Ferry au printemps de 1885 : « Il n’y a qu’un ministère militaire qui puisse rassurer le pays ! » comme si l’ennemi héréditaire eût déjà menacé Paris… Ce fut d’ailleurs Henri Brisson qui fut chargé de nous réconforter.

Ce sera le grand et permanent titre de gloire des promoteurs de notre action coloniale, de n’avoir pas partagé cette pusillanimité, et de ne s’être pas arrêtés aux critiques acerbes de l’opposition de droite ou de gauche. Ils n’avaient point le choix du reste : aucune autre voie ne s’ouvrait devant eux pour permettre à la France de faire quelque figure dans le monde et d’acquérir graduellement la notion de sa propre résurrection. A la faveur des divisions des Alliés de l’époque, la