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LA PRÉPARATION DE LA GUERRE

Ces rares qualités naturelles, développées par une vie de conscience et de travail à tous les degrés d’une belle carrière, préparaient Joffre au rôle du général en chef. Dans l’ordre politique, tel ou tel bon ministre n’est pas apte à devenir un président du Conseil, parce qu’il n’est pas, à proprement parler, un homme d’État : de même, dans l’ordre des choses militaires, tout général n’a pas l’aptitude du haut commandement.

Le général en chef digne de ce nom doit être, d’abord, un grand citoyen : car il est le juge suprême qui met sans cesse en balance les intérêts nationaux les plus nombreux et les plus variés, et dont le jugement assure l’équilibre de l’ensemble.

Le généralissime fait, sans cesse, œuvre de gouvernement ; il doit connaître toutes les ressources du pays, distinguer et rechercher les diverses manifestations de l’énergie nationale, les orienter et les concentrer de façon à porter au maximum la force physique et morale qui, à l’heure du danger, est l’expression suprême de la valeur d’un peuple.

Jomini a écrit un chapitre admirable sur ce qu’il appelle « la politique de la guerre. » Ce point de vue résume tout. Le général en chef d’un peuple sous les armes doit le représenter pleinement. Dans une coalition, il devient l’organe de ce peuple, le rouage indispensable, la personnalité dont l’avis doit entraîner la conviction. Encore une fois, aux périodes critiques, il résume en lui la nation à laquelle il appartient.


Avant la guerre, Joffre savait que, si la charge du commandement en chef lui incombait, son autorité s’exercerait sur un front qui s’étendrait des Vosges à la Belgique ; que, sur ce front, s’échelonneraient cinq armées et, en arrière, des troupes de réserve ; que l’effectif total dépasserait 4 millions d’hommes et s’accroîtrait sans cesse. C’est sur ces données générales qu’il fallait travailler, sans qu’aucun essai ou manœuvre préparatoire pût seconder l’étude et la réflexion.

C’est comme chef d’Etat-major général que Joffre s’est préparé au commandement. Remplissant ses fonctions avec scrupule, il étudiait l’armée et en scrutait tous les rouages. Il s’efforçait de donner plus de cohésion et plus de force à cet