Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Nous allons dans le pays de papa », ou « dans le pays de maman, » disaient mes petites amies, « tu n’as donc pas de pays ? » interrogeaient-elles. Non, je n’avais pas de pays, et j’en étais gênée, humiliée dans mon petit amour propre mal placé. Il me semblait que c’était une déchéance que ces vacances passées, tantôt à Veulettes, où j’ai appris à aimer le mouvement de la mer, tantôt à la montagne, dont je n’ai gardé que des souvenirs de promenades à âne ; le comble fut le jour où une petite fille de six ans qui revenait d’Algérie, me demanda, à moi qui en avais huit, d’un air de tomber des nues : « Comment ? vous n’êtes jamais sortie d’Europe ? » Évidemment c’était scandaleux, et je fus très vexée.

Un été, mes grands-parents, las des hôtels, décidèrent de louer une maison, et choisirent Avallon, probablement pour des raisons sérieuses, mais peut-être aussi au petit bonheur. Bon papa prit un papier à en-tête de l’Université de France, et écrivit tout de go au principal du collège d’Avallon… plutôt qu’à une agence. Il lui demandait s’il connaîtrait à louer, pour l’été, une maison avec un joli jardin et de la vue, et il comptait sur l’obligeance dévouée d’un universitaire !

M. le Principal répondit à M. l’inspecteur général, avec toutes les courbettes épistolaires du monde, que précisément sa femme possédait une maison dans les conditions requises, et qu’il serait si flatté, si honoré, etc. etc. Cette réponse enthousiasma l’honnête et ingénu bon papa ; la location se fit aussitôt.

Mais M. le Principal n’avait pas dit la vérité ; j’oserai même insinuer que, manquant de tout respect pour l’Université de France, il avait menti.

L’arrivée fut une cruelle déception ; la maison n’était qu’un rez-de-chaussée de cinq pièces, resserré entre un maigre potager et la route d’Auxerre, sans un arbre, précisément situé sur la languette de terre qui réunit l’éperon d’Avallon à la masse des terres et d’où l’on ne voyait rien, absolument rien, que des champs qui remontaient et bouchaient la vue à cinquante mètres.

Bonne maman se désespéra avec l’éloquence vibrante qui lui était naturelle ; bon papa, ayant le sentiment de sa responsabilité dans cette mauvaise affaire, prit le parti de se fâcher contre bonne maman ; maman se résigna et chercha aussitôt à rendre les pièces habitables ; moi, je mesurai d’un coup d’œil