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Hanté déjà de cette idée (qui ne devait plus l’abandonner) de l’absolue nécessité de maintenir en équilibre des armées occupant nécessairement un si vaste front, le général Joffre pressentait l’utilité capitale d’une organisation complète de leurs nerfs moteurs, c’est-à-dire le commandement et les États-majors. Pendant les dernières années qui ont précédé la guerre, il ne s’est pas passé de mois, et presque de jours, sans que son attention personnelle se soit portée sur le fonctionnement de ces rouages exigeant une préparation si minutieuse et si délicate.

Il savait bien qu’il lui serait impossible d’intervenir dans les détails, que si la guerre éclatait, l’instrument, aussi parfait qu’on le supposât, échapperait à son contrôle, et que l’action personnelle du général en chef ne pourrait s’exercer que s’il avait en mains des organes de transmission et de direction excellents.

Et c’est pourquoi il s’employa, dès avant la guerre, à grouper autour de lui des officiers remarquables tant par leurs connaissances professionnelles que par la sûreté de leur jugement et la fermeté de leur caractère. Ce personnel, il voulait le connaître individuellement. Des voyages d’année, des travaux sur la carte le mirent en contact fréquent et presque permanent avec les généraux et les officiers de mérite, et quand la mobilisation porta, aux frontières de la France, toutes les forces militaires du pays, le général Joffre avait acquis la connaissance particulière des hommes qui devaient être partout ses auxiliaires immédiats, et qu’il avait en quelque sorte imprégnés de ses méthodes. Il leur faisait confiance comme ils lui faisaient confiance.

C’est dans cette collaboration intime que résidait (l’événement l’a bien prouvé) la force même de l’armée en temps de guerre. Joffre l’a dit dans son discours de réception à l’Académie, quand il célébrait ces États-majors qui demeurèrent dans la tempête « fermes comme des rocs, » qui ranimèrent les courages, soutinrent les volontés et qui surent garder, avec une parfaite lucidité d’esprit, un entrain, un optimisme, une fermeté et une continuité de vues dignes de la cause qu’ils servaient.

Si le général Joffre avait eu plus de temps, il eût sans doute procédé, dans le haut commandement, à certaines éliminations et sélections qui s’imposèrent dès les premiers jours de la guerre.