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Angleterre où, boudant l’Empereur et la maison de Saxe, il vivait de préférence à Berlin et dans son magnifique domaine de Krieblowitz en Silésie ; il louait au gouvernement britannique la petite île de Herm, où cet original s’était rendu célèbre par sa manie d’élever des kangourous.

Ce fut donc un coup de théâtre quand, la guerre éclatant soudain entre l’Angleterre et l’Allemagne, la comtesse Blücher dut faire à l’opinion et à la politique le sacrifice de suivre son mari à Berlin Là, cette inconsolable fille, séparée brusquement de ses affections les plus chères, faute de pouvoir correspondre régulièrement avec sa mère, se mit à écrire au jour le jour à son intention le récit de tous les événements et de toutes les nouvelles qui allaient passer à sa portée pendant les quatre ans de son exil, depuis son départ de Londres jusqu’à la révolution de novembre 1918. Ce sont ces notes tout intimes, jetées chaque soir sur le papier comme des confidences, dans l’abattement, dans la tristesse ou dans l’indignation, qu’elle s’est décidée à publier, à peine de retour dans son pays, comme une lettre ouverte aux amis qu’elle avait quittés. On s’explique l’accueil qu’on a fait à ce journal comme le plaisir de revoir, après une longue séparation, une personne si brillante de la société : c’est une joie de la retrouver, et de la retrouver si pareille à elle-même.

Je gage en effet que, dans ce livre, ce qui charme davantage le public anglais, ce ne sont pas les renseignements qu’il nous donne sur l’état d’esprit des Allemands pendant la guerre, ni sur la crise des vivres, ni même sur les étapes de la révolution, mais c’est bien plutôt le spectacle, toujours si dramatique, et qui forme le sujet de tant de romans anglais : celui d’une âme anglaise inflexible et qui, dans les conditions les plus hostiles ou les plus dangereuses, n’abandonne rien d’elle-même et reste anglaise de pied en cap. Souvent, voyant à l’étranger un de ces beaux Anglais solides et puissants, je me suis souvenu de ces petits soldats de bois de mon enfance, qui se tenaient debout sur une planchette, et j’admirais cette faculté qu’ils ont de transporter leur île à la semelle de leurs bottes. C’est une de leurs forces, presque une de leurs vertus : leurs habitudes, leur thé de cinq heures, leurs bains, leurs gâteaux secs, leur tennis et leur golf sont devenus autant d’institutions qui ont presque la valeur d’une politique et servent à faire régner la vie anglaise sur la surface de la terre.