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(on pourrait dire encore « inter-religieux »), lequel l’emporte le plus souvent, du mari ou de la femme, et lequel, chez celle-ci, est l’amour le plus fort, de l’amour conjugal ou de l’esprit de famille. Nul doute que la princesse Blücher ne soit fort tendrement attachée à son mari ; elle ne se cache pas d’être très fière de lui. Et elle est trop Anglaise pour ne pas tâcher d’être loyale et de voir honnêtement les « deux côtés de la question. » On verra tout à l’heure qu’elle se pique de rendre justice aux Allemands et ne leur ménage pas les témoignages d’estime (surtout quand elle les sent battus). En fait, elle aime beaucoup le pays de son mari, et l’Allemagne après tout lui parait le séjour le plus heureux du monde et le plus habitable pour une personne de son rang, quand on n’a pas le bonheur de vivre en Angleterre. Pourtant, elle a beau faire, le pays paternel, le pays de sa race, de sa mère et de ses frères, est le seul qui existe réellement pour elle ; elle a beau chérir son époux, admirer l’abnégation et le dévouement du peuple, jouir profondément de la sauvage poésie de ses terres de Krieblowitz : tout ce qu’une âme anglaise attache d’inexprimable à cette idée du home, aux images du pays et du foyer natal, tout cela est Angleterre, Angleterre, Angleterre. Il n’y a pour elle qu’une famille. C’est ce qui explique sa sympathie pour la charmante et malheureuse impératrice Zita. Comme elle l’entendait dire un jour, à propos de cette princesse, à un officier allemand : « C’est connu : celles qui ont des frères de l’autre côté, sont toujours pour ce côté-là. C’est dans le sang. » Il resterait pourtant à savoir si la princesse Blücher eût senti tout à fait de même, si elle avait eu des fils, ou si seulement elle avait eu à trembler pour son mari ; mais ce prince prussien, chose curieuse ! n’avait jamais fait de service militaire et se contentait d’un modeste emploi de la Croix-Rouge. Que fût-il arrivé si le Ciel l’eût doué d’un génie moins pacifique ? Sa femme eût souffert davantage. Mais la seule épreuve décisive est celle des enfants, et cette épreuve lui fut épargnée.

Quoi qu’il en soit, il est remarquable qu’elle ait pu presque librement confesser pendant quatre années, au vu de tout son monde, les opinions qu’on vient de dire, sans être pour cela autrement inquiétée. Ce serait une preuve bien inattendue de la tolérance allemande, si l’on ne connaissait aussi l’extatique anéantissement allemand devant un titre. La princesse fut dénoncée, il va sans dire, comme tout le monde, et fut même une