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avait ramenés de l’Elbe à la région de l’Oder; un second les avait confinés dans les bassins de la Warta et de la Vistule, qui avaient été le berceau de la grandeur polonaise; et enfin, du XVIe siècle à la fin du XVIIIe, la frontière occidentale du royaume était restée à peu près stationnaire. D’autre part, dans la direction de la Baltique, les Polonais avaient fait un effort prolongé pour conserver la bande de littoral dont ils avaient besoin. D’abord éloignés de la mer par la perte de la Poméranie et par l’extension du duché de Prusse, ils s’étaient rouvert, à coups de coudes, le chemin du rivage et avaient gardé jusqu’au XVIIIe siècle le couloir d’accès que leur offrait la basse Vistule. A l’Est, la frontière avait maintes fois oscillé pendant les âpres luttes de plusieurs siècles qu’avaient soutenues les Polonais contre les Moscovites. Après avoir été portée, d’abord, au cœur même de la Russie, elle avait reculé en deux étapes principales, l’une en 1618, l’autre en 1667, et s’était alors elle-même fixée pour une centaine d’années, pendant lesquelles la Russie avait provisoirement renoncé à s’annexer la Pologne et s’était, à la mode soviétique, contentée de chercher à l’asservir. Cette poussée à l’Est, cette poussée à l’Ouest, ce rejet à la mer, ce sont les mêmes tentatives qui se sont renouvelées hier contre la Pologne.

Le Bolchevisme, — Janus Bifrons, — a deux faces, qui ont été l’une et l’autre parfaitement mises en lumière dans la réponse des États-Unis au gouvernement italien et dans la note adressée à l’Amérique par M. Millerand; et nous ne pouvons que nous féliciter de voir le cabinet français et le Président Wilson suivre la même politique vis-à-vis des Soviets, comme ils suivent la même vis-à-vis de la Pologne. Les Bolcheviks sont des révolutionnaires internationalistes et les documents qui viennent d’être publiés par le Morning Post sont de nature à nous édifier sur les procédés qu’ils emploient à l’étranger. Mais ils sont aussi de farouches nationalistes et, qu’ils en conviennent ou non, ils poursuivent simplement aujourd’hui contre la Pologne l’œuvre d’Ivan III le Grand et d’Ivan IV le Terrible.

Lorsqu’après la défaite des chevaliers teutoniques à Grünwald, Jagellon signait avec ses ennemis de l’Ouest le traité de Thorn, la paix conclue était qualifiée d’éternelle; et c’était également ce mot d’éternité qui revenait sans cesse dans les traités passés entre la Pologne et la Moscovie. La bataille cependant était à peine éteinte, qu’elle se rallumait aussitôt. Le royaume était constamment sur le qui-vive. A l’aurore du XVIe siècle, Ivan III, qui s’était fait proclamer Empereur de toutes les Russies, avait refoulé Polonais et