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belge, au milieu d’une prairie en face de la gare, une tranchée-abri assez large pour que nous puissions nous coucher sur la paille, et qui n’aura d’autre inconvénient que d’exciter la curiosité des vaches qui viendront nous y faire des visites. Car les bestiaux ne sont pas encore rentrés dans les étables qui sont généralement occupées par des troupes, et les obus en ont déjà tué beaucoup. J’en dirige sur l’arrière, mais je ne puis les évacuer tous, et d’ailleurs nous en mangeons, bien que l’intendance belge nous ravitaille avec soin. Je ne parle pas des poulaillers magnifiques que toutes les fermes possèdent, car ils sont en passe de n’être plus que des souvenirs, ni des nombreux cochons que j’entends souvent sacrifier. Je ne puis que les plaindre, car j’ai d’autres soucis en tête, en particulier l’évacuation de la population civile. Beaucoup d’habitants de Dixmude sont partis, mais il en reste encore beaucoup trop, dont je presse le départ, bien que l’exode de ces infortunés soit des plus pénibles à voir. Au passage à niveau de Caeskerke, c’est un défilé continuel de fugitifs lamentables, chargés de ballots et poussant des voiturettes pleines de mille objets familiers qu’on ne veut pas abandonner. Il passe des malades, des infirmes, des blessés aussi, hélas ! des enfants de tous âges, des béguines, etc.. aturellement, les femmes ont revêtu leurs plus belles toilettes, puisqu’elles n’en emportent qu’une seule, ainsi que leurs antiques capotes à plumes, et tout ce monde patauge dans la boue avec une admirable résignation. Comme il doit être dur pour eux d’abandonner leurs richesses et leurs foyers si chers qu’ils ne reverront plus !


22 octobre.

A deux heures du matin, la bataille reprend, et je suis informé que nos lignes ont fléchi dans le Nord de Dixmude où je fais porter aussitôt quatre compagnies du 2e régiment préparées pour une relève. En réalité, l’alerte n’est pas justifiée. Nos tranchées sont réoccupées, et les relèves se trouvent effectuées.

Dès l’aube, le bombardement reprend, moins nourri que la veille, mais il devient intense à 11 heures pour cesser à 13 heures. L’après-midi est calme, et nous en profitons pour réfectionner les tranchées très endommagées, pour évacuer des blessés, et même pour enterrer les cadavres allemands que l’on peut relever en avant de nos lignes.