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de ces phénomènes premiers auxquels il n’y pas lieu de chercher des explications, qu’il avait reçu en naissant le don et le goût de conter, lust zum fabulieren, disait Goethe en parlant de lui-même. Mais nous avons noté que Mérimée fut un émotif rêné. L’habitude du contrôle intérieur devait le suivre dans l’emploi de ses facultés, quelles qu’elles fussent. Visiblement il a répugné à l’expansion de son génie de conteur, comme à toutes les autres. Poète, il eût choisi la rigueur concise du sonnet ; dramaturge, la pièce en un acte. Conteur, il a trouvé dans la Nouvelle une forme adéquate à son attitude coutumière de rétraction. Il éprouve, à resserrer sa narration, la même satisfaction qu’un Walter Scott, un Dumas à étaler, à amplifier la leur. Je n’ai pas dit à la raccourcir. La Nouvelle, on ne saurait trop le répéter, n’est pas un court roman. Prenez un chef-d’œuvre de chacun de ces deux genres : Matteo Falcone, je suppose, et la Cousine Bette. Essayez en esprit d’allonger l’un et de raccourcir l’autre. Vous les dénaturerez. La matière de l’un et de l’autre est trop différente. Celle de la Nouvelle est un épisode, celle du roman une suite d’épisodes. Cet épisode que la Nouvelle se propose de peindre, elle le détache, elle l’isole. Ces épisodes dont la suite fait l’objet du roman, il les agglutine, il les relie. Il procède par développement, la Nouvelle par concentration. Les épisodes du roman peuvent être tout menus, insignifiants presque. C’est le cas dans Madame Bovary et l’Éducation sentimentale. L’épisode traité par la Nouvelle doit être intensément significatif. Le roman permet, il commande la diversité du ton. La bonasse et cocasse figure de Crevel, dans la Cousine Bette, se juxtapose à celle de la parente pauvre, si durement amère et cruelle. La Nouvelle exige l’unité du coloris, peu de touches, mais qui conspirent à un effet unique. Pour emprunter une comparaison à un autre art, elle est un solo. Le roman est une symphonie. Aussi compterait-on les écrivains supérieurs, comme Balzac, dans l’un et dans l’autre genre. Cette puissance de repliement qui avait comme préparé Mérimée à cet art du récit ramassé, musclé, râblé, le rendait incapable du large souffle qui soulève une large épopée, car le roman, — notons-le pour en bien saisir la raison d’être, — le roman n’est que la transformation, ou si l’on veut, la dégénérescence du poème épique.

Il s’y est essayé, une fois, dans la Chronique du règne de Charles IX. Il a échoué. Cet ouvrage qui n’est pas très long,