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l'a cantonné dans l’art de la Nouvelle. Le romancier, se voulût-il comme Flaubert absolument objectif et indifférent, ne peut pas éviter l’indication des causes. Étudiant non pas un épisode isolé, mais une suite d’épisodes, non pas un personnage, mais un groupe, il est obligé de dégager le lien qui unit ces épisodes, de caractériser les rapports des individus qui composent ce groupe. Or, relier des épisodes, c’est les conditionner, c’est considérer ceux-ci comme des effets, ceux-là comme des causes. Décomposer un milieu vivant, préciser le jeu réciproque de ses éléments, les uns sur les autres, c’est donner à certains de ces éléments une valeur prédominante. C’est encore indiquer des causes. Le romancier ressemble au botaniste qui vous montre, avec son terreau et ses racines, la plante dont le nouvelliste cueille une fleur pour vous la présenter isolée. Ces racines, le botaniste les voit. Il les touche. Le romancier, lui, ne peut que les supposer. Indiquer des causes, c’est toujours formuler une hypothèse, quand il s’agit des actions humaines. Par suite, c’est prendre parti, c’est, implicitement ou explicitement, conclure, donc juger. Aucun romancier n’a jamais échappé à cette loi du genre. Flaubert, pour citer de nouveau ce doctrinaire de l’impassibilité, juge Mme Bovary, quoi qu’il en ait. Il juge Frédéric Moreau. Il juge Bouvard et Pécuchet. Quand il disait à Maxime du Camp, après la guerre de 1870 et la Commune : « Tout cela ne serait pas arrivé, si on avait compris l’Éducation sentimentale, » il ne proférait pas, comme l’a cru son ami, une phrase ambitieuse d’illuminé littéraire. Il avouait tout haut qu’il avait entendu faire dans ce livre un diagnostic social. La Nouvelle échappe à ces conclusions et à ces jugements. Elle pose le fait, brut et détaché. Comment, resserrée comme elle est, en montrerait-elle la genèse ? Comment l’aboutissement ? Cette brusque et brève évocation, presque hallucinatoire, est son but. Pensez-en ce que vous voudrez. Le nouvelliste, lui, ne vous donne que des constats. Ces constats vous semblent-ils poser un problème ? Résolvez-le à votre idée. Pour Mérimée, le problème fondamental, auquel se ramènent tous les autres, est résolu définitivement. L’existence humaine n’a pas de sens humain. C’est le désespérant axiome sur lequel il a vécu et dont il a trompé la détresse foncière par un labeur d’artiste qu’il a voulu passionné et surveillé comme lui-même.