Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

se montrer, dans la suite, incapables d’y répondre. Ceux qui nous aiment nous reprocheraient alors non seulement ce qu’ils n’ont pas obtenu, mais ce qu’ils nous ont donné. Voilà pourquoi l’appel des peuples vers la France doit fortifier en nous la conscience d’un grand devoir.

Seulement, tout se tient ; et l’expansion de la langue française dépend de la vitalité de la France. Il y a ici une question de nombre, qui ne veut pas être considérée seule, mais qui ne veut pas non plus être négligée. Le jour où les métèques peupleraient la cité, et où ceux qui font voile vers les pays lointains diminueraient jusqu’à disparaître, le français garderait sans doute une place dans le monde, mais comme la relique d’un grand mort. La dépopulation, signalée dès avant la guerre comme le mal d’où naissaient tous nos autres maux, aggravée par tant et tant de pertes, n’affecte guère moins notre prospérité intellectuelle que notre prospérité économique : elle menace notre action, parce qu’elle menace notre être même.

Or, même devant ce danger évident, nous gardons entière notre confiance. La guerre n’a pas seulement prouvé au monde que nous étions dignes de vivre ; elle nous a rendu à nous-mêmes notre volonté. C’est là le meilleur de nos gains, celui qui nous permet d’envisager l’avenir avec sécurité. Nous vivrons, parce que nous voulons vivre, et que nous aurons désormais, avec la clairvoyance, l’énergie nécessaire pour en assurer les moyens. Déjà nous avons commencé à le faire : n’est-ce pas dans la reconstitution de la famille que les jeunes Français de France, comme instinctivement, cherchent le salut de la patrie en même temps que l’équilibre de la société ? L’expansion de la langue française dépend de la vitalité de la France, et c’est pour cela qu’elle est assurée.

Paul Hazard.