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demande-t-on aux spécialistes avec quelque angoisse combien de temps durera la disette actuelle, quelles sont les causes de sa persistance et comment il se fait que l’on n’arrive pas à y remédier. Ce sont les questions auxquelles nous allons essayer de répondre.

Le mal dont nous souffrons n’a guère eu de précédent, bien que les hommes se soient parfois entretués beaucoup plus longtemps encore, bien qu’ils aient trop souvent dévasté, pillé et incendié. Mais jamais leur frénésie n’avait encore pris cette forme hautement scientifique, et jamais ils n’avaient appliqué leur science, avec une telle méthode, une telle persévérance, à détruire. Partout, dans l’univers civilisé, on avait fini par s’imaginer que la guerre même obéissait désormais à certaines lois internationales. On n’ignorait pas que les champs de bataille devaient fatalement souffrir par les obus ou les balles ; mais, depuis les temps lointains où des hordes sauvages mettaient à sac les villes conquises, on s’était habitué à penser qu’un pays occupé par l’envahisseur pouvait sortir de ses mains sans avoir subi d’autres dommages que des réquisitions d’argent, de vêtements, d’étoffes, de vivres, — ou de pendules. Ce qui s’est passé en France de 1914 à 1918 a renversé, — aurait dû renverser à jamais, — les illusions des légistes. En ce qui concerne notre sujet spécial des mines, je dirai tout à l’heure que les ravages de la bataille, même la plus furieuse, du bombardement, même le plus intensif et le plus prolongé, sont peu de chose à côté des méfaits exécutés volontairement, sciemment, systématiquement. Jamais n’est apparu dans une plus désolante crudité le contraste entre la faiblesse de l’homme, quand il veut édifier, et sa puissance, lorsqu’il s’acharne au mal. Quelques secondes anéantissent un arbre centenaire ; elles suffisent aussi pour jeter bas une usine, pour rendre une mine inexploitable pendant des années.

On ne dira jamais assez que, si nos mines du Nord s’éternisent dans l’état de désolation où nous les voyons, si toute notre industrie française manque de charbon, si par conséquent nous sommes obligés d’acheter à l’étranger et de nous endetter sans cesse davantage, ce n’est pas l’effet naturel et inévitable des opérations militaires, mais l’exécution du programme le plus épouvantablement raffiné que des hommes aient jamais conçu. Les Allemands ont commencé la guerre avec l’intention