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apprécié, même pour cette deuxième période plus discutée parce qu’elle est plus ignorée. Son honnête bon sens et la haute portée de sa direction et de son action peuvent attendre avec confiance le jugement de l’histoire. Pendant cette difficile période, il inaugurait, par la manœuvre sur l’Yser, la « longue bataille des communications » qui devint, de plus en plus, l’objet suprême de la guerre et qui devait la finir un jour.

Persuadé, — comme tous les grands généraux, — que le succès est la récompense de l’initiative, il agit sans cesse et c’est par cette raison profonde que s’expliquent certaines de ses opérations hardies qui devaient en somme avoir raison un jour de la résistance ennemie.

Mais la guerre a pris une nouvelle forme, elle est devenue « la guerre des tranchées, » et cette initiative, Joffre est obligé de la chercher selon des conceptions qui, depuis des siècles, n’ont plus été mises à l’épreuve.

Là encore, il fallait tout apprendre, tout inventer. Il fallait donner à la France le temps de créer le matériel et, comme moyen d’action finale, de cimenter des alliances. Et, en attendant, il fallait maintenir l’équilibre au physique et au moral. Or, sur les divers fronts, les Alliés attaquaient, le plus souvent, en ordre dispersé. La France avait pour devoir de maintenir seule, dans ces circonstances si nouvelles et si déprimantes, l’unité de vues et la foi dans la victoire.

Jamais peut-être la personnalité du général Joffre ne se montra plus agissante et plus ferme qu’au cours de ces années 1915-1916. On venait vers lui ; on sollicitait ses conseils, ses ordres ; il apaisait et il tenait en haleine. Les gouvernements alliés l’écoutaient ; les chefs se plaçaient, pour ainsi dire, d’eux-mêmes dans le cadre de ses décisions.

Pendant l’année 1915, avec le double objectif que nous venons d’indiquer, la procédure de guerre du général Joffre fut également à double effet : 1° il résolut d’agir constamment pour soulager le front russe et lui assurer la force de tenir jusqu’au bout ; 2° il conçut un système de manœuvres sur le front occidental tel qu’il devait ouvrir les voies au succès définitif. En deux mots, il eut à la fois un plan d’ensemble et un plan particulier.

Pour obtenir l’unité sur tous les fronts, un effort persévérant était nécessaire. A la lettre, on ne se comprenait pas. La distance,