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également appartenu au même prince. Je ne crois pas que cette attribution soit exacte : il s’agit d’œuvres un peu antérieures aux van Eyck, faites par des maîtres très habiles, mais sans flamme. Il n’en demeure pas moins clair désormais que l’origine de ces grands peintres doit être recherchée dans le cercle des Valois, et que leur merveilleux génie s’est formé à l’école de la peinture française.

C’est un fait en effet que la Flandre du moyen âge n’a eu longtemps d’autre art que celui qu’elle tenait de nous. Ce fief de la couronne de France ne formait pas une province séparée dans l’ensemble de l’art français. C’est à Paris que travaillaient la plupart de ces grands artistes, les Beauneveu, les Jacques Coene, les Broederlam, les frères de Limbourg, qui illustrent la fin du XIVe siècle. M. Louis Maeterlinck est arrivé à montrer qu’il y avait à Gand, aux environs de 1400, une école d’art très prospère, bien antérieure à celles de Bruxelles et de Bruges, et d’ailleurs en relations manifestes avec la France. Ainsi le retable des van Eyck cesse d’apparaître isolé. Le Vieux patricien Josse Vyd n’a plus besoin d’un hasard et d’un secours étranger pour faire peindre sur son tombeau l’Agnus Dei et le saint Jean des armoiries de Gand. Tout s’explique à la fois dans le sens national.

Ce point n’est pas sans importance, et sans des conséquences qui dépassent peut-être le domaine de la pointure. On a vu que l’Allemagne n’a rien négligé pour persuader les Flamands qu’ils formaient une branche de la famille germanique, et que le génie des van Eyck était le premier éclat du génie allemand. Il n’est pas inutile de montrer que la Flandre a reçu sa vie intellectuelle non pas du Nord, mais du Midi, et de rappeler que l’Escaut gantois est un fleuve de source française. C’est le sens que peut prendre le retour du vieux chef-d’œuvre des Van Eyck dans sa vieille cathédrale. Le voilà délivré. L’antique Agneau de Gand reprend son rôle de drapeau. Cette fête de la patrie belge, qui est le prix de la commune victoire, est aussi une fête de l’amitié française.


Louis GILLET.