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Bismarck a commencé à acheter la presse avec l’or qu’il avait volé aux souverains détrônés par lui en 1866 : depuis, les journaux n’ont jamais été sincères, et c’est avec leur connivence payée que le gouvernement central gangrène l’Allemagne où sévissent les agents provocateurs, la dénonciation et l’arrivisme. L’industrialisme prussien, qui ronge l’Empire comme le ver un fruit trop mûr, a fait éclore une aristocratie de parvenus stupides, inhumains, cruels avec les misérables, sans mœurs et sans vertus, dont les enfants ont horreur du travail, tout en prétendant satisfaire de formidables appétits. Tout en haut, la famille se dissout, les courtisanes règnent, d’abjects goûts de noce s’étalent qui font prendre en horreur la vie simple d’autrefois. En bas, la détresse est immense, et le peuple, pour oublier sa misère, tombe dans l’ivrognerie : « Comment un Empire, écrit von Görne, qui a été fondé par la force matérielle, pourrait-il produire autre chose qu’un accroissement de ce matérialisme déjà trop répandu ? »

La Prusse n’a jamais cherché que son intérêt ; elle a ruiné des trônes allemands parce qu’elle voyait en eux des obstacles à sa propre expansion ; elle continue d’être une menace pour le bien-être des peuples et pour la civilisation. L’Empire, qu’elle domine, n’est pas, et ne peut être pour cette raison différent d’elle-même : il participe de sa nature et comme elle il n’adore que la force : « En Prusse, écrivent avec une netteté décisive les Historisch politische Blätter, on ne respecte rien, sinon la force et la résolution. Toute marque de déférence, toute concession conciliante, la simple politesse elle-même, exception faite pour quelques personnes estimables et sympathiques, mais dénuées d’influence dans la vie publique, sont considérées comme des faiblesses. Seul l’homme fort et résolu est estimé. Ceci vaut à la fois pour la politique intérieure et pour la politique extérieure. » De telles assertions ne sont pas nouvelles, et la grande revue particulariste n’a pas attendu l’année 1908 pour les formuler. Dès 1875, elle jugeait l’Empire prussien avec la même acuité pénétrante : « Le nouvel Empire allemand, lisons-nous, est contraint dans son isolement, et pour sa propre sécurité, à un accroissement de puissance sans limites. Il y parviendra directement par des agrandissements, indirectement en paralysant tous les autres États pour les empêcher de lui nuire. Le prince de Bismarck en a eu l’obscur