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embrumé, quel nuage ne pesait pas sur les intelligences ! Munich, au contraire, attirait les étrangers ; elle avait le désir de pouvoir rivaliser avec Rome et Paris, d’être comme ces deux villes un lieu de pèlerinage artistique pour les peuples du monde entier. En Prusse, faisait remarquer le Simplicissimus, il n’y avait aucun mouvement comparable : la science y était caporalisée, et l’on n’y connaissait qu’un art officiel, avec de grossiers manœuvres qui fabriquaient pour les places publiques des Frédéric II au mille, des Blücher à la centaine, des Bismarck, des Guillaume Ier et des Moltke en nombre infini.

L’orgueil national souffrait de ce que la Bavière, dans l’Allemagne impériale, eût été reléguée au second rang. Il s’irritait de tous les signes qui révélaient une main-mise plus complète de la Prusse sur le royaume. Il s’indigna lorsque les troupes durent revêtir pour la première fois le manteau gris imposé par Berlin ou lorsqu’elles durent adjoindre à leur cocarde une cocarde tricolore jusque-là inconnue. Dans les villes, les Prussiens immigrés ou de passage parlaient en maîtres, avec une arrogance que l’on trouvait insupportable, faisant entendre que la Bavière était comme leur propriété, et que, s’ils n’avaient pris la direction des affaires allemandes, elle ne serait ni plus policée, ni plus prospère qu’un royaume nègre. Dans les campagnes, pendant les mois d’été, c’était un défilé ininterrompu de Berlinois déguisés en Tyroliens, prétentieux et stupides, proférant de monstrueuses bêtises sur la beauté de la nature, et croyant, dans leur ineptie candide, que le paysan bavarois n’avait d’autre occupation, tout au long des jours, que de chanter et de danser le Schuhplatt.

Dans les heurts journaliers qui opposaient l’un à l’autre l’homme du peuple et le Prussien de passage, le premier résumait tous ses griefs par le mot Saupreuss, « cochon de Prussien, » par lequel il traduisait énergiquement son aversion. Il y mettait toutes ses rancunes de catholique brimé, ses colères de patriote désabusé, ses déceptions de contribuable saigné à blanc par un Empire qu’il détestait, sa haine d’un caporalisme qui s’étendait jusqu’à la vie civile. Démocrate et familier, il avait horreur de la hiérarchie brutale qui réglait tous les rapports sociaux dans les pays situés au-delà de l’Elbe. Habitué aux manières simples des grandes familles bavaroises et de la maison royale elle-même, il ne pouvait supporter l’orgueil