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L’un et l’autre non moins jaloux de leur indépendance nationale, intransigeants dans leur conscience de patriotes, n’acceptant, comme Belge et comme Français, de direction que d’eux-mêmes, convaincus que la plus noble mission du christianisme est de venir au secours de la justice et que la force se sanctifie, dès qu’elle est mise au service du droit.

Il y a aujourd’hui un an que j’épinglais la croix de guerre française à la pourpre du cardinal Mercier, dans la cathédrale mutilée de Malines, au milieu d’une population enthousiaste, comme j’avais remis la Légion d’honneur au cardinal Luçon, devant les ruines de la cathédrale de Reims, dans une ville déserte et désolée. Le cardinal Amette aurait cent fois mérité le même hommage des pouvoirs publics. Mais plus il était empressé à les seconder dans tout ce qui intéressait la patrie, plus il avait de scrupules à accepter les récompenses dont ils sont les dispensateurs. Il a tenu à garder la même réserve vis-à-vis de l’Académie. S’il n’avait pas écarté, d’un geste deux et ferme, les propositions qui lui ont été faites, il aurait été élu, après la victoire, avec les autres grands serviteurs de la France. Mais toute distinction temporelle semblait gêner sa modestie et intimider sa piété.

Je viens d’évoquer le souvenir de Malines et voici qu’à un an de distance, au moment où va être enfin signée la convention militaire franco-belge, je vois repasser devant mes yeux tant d’éclatantes démonstrations d’amitié pour la France, dont j’ai été témoin à Bruxelles, à Gand, à Anvers, à Liège, à Namur, à Charleroi, et jusque dans les moindres villages de Flandre et de Wallonie. Les quelques activistes qui ont essayé naguère de reprendre leurs manœuvres dissolvantes se terraient alors prudemment. Déjà, avant l’armistice, lorsque Sa Majesté le Roi Albert m’avait gracieusement invité à visiter avec lui Bruges libérée, j’avais remarqué avec quelle reconnaissance et quelle chaleur était acclamé, dans la vieille ville flamande, le nom de la France. Le bourgmestre m’avait entretenu des maladresses et des brutalités qu’avaient commises les Allemands pendant leur longue occupation ; il m’avait remis un exemplaire d’une affiche qu’ils avaient fait apposer sur les maisons de Bruges pour interdire aux habitants de parler français dans les rues ; et il avait ajouté en souriant : « Jusque-là, nous avions l’habitude de parler flamand ; depuis le jour où l’affiche a été placardée, le français nous est devenu plus cher et plus familier. » Mais c’est surtout après la paix que j’ai pu mesurer la force des sentiments que la guerre avait développés chez les