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Si je m’étends aussi longuement sur l’affaire de Kiew, ce n’est pas seulement parce que, pendant le temps que j’ai passé en Pologne, elle fut l’objet de toutes les préoccupations et de toutes les controverses entre partis, exerçant une influence profonde jusque sur les dispositions des Alliés à l’égard du nouvel État ; mais c’est encore parce que cet épisode met en pleine lumière la divergence entre deux directions possibles de la politique polonaise, l’une conforme, l’autre contraire à nos desseins et à l’intérêt bien entendu de la Pologne elle-même.

La Pologne se trouve placée entre deux États, dont l’un est encore très fort, dont l’autre le redeviendra tôt ou tard. A peine organisée, elle ne peut pas vivre entre deux ennemis : il est inévitable qu’elle cherche à s’entendre avec l’un pour se mieux défendre contre l’autre. Mais le choix de la Pologne n’est pas indifférent : l’équilibre et la paix de l’Europe en dépendent. L’équilibre et la paix ne seront maintenus que si la Pologne, suffisamment assurée à l’Est par une entente avec la Russie, peut faire face à l’Ouest avec toutes, ses forces et protéger sa frontière contre les entreprises de l’Allemagne.

Le but avoué de la politique allemande, c’est une alliance avec la Russie, alliance impliquant une étroite coopération, d’abord sur le terrain économique, puis sur le terrain politique. Or, nous savons ce que les Allemands entendent par coopération : ils commandent, et leurs associés obéissent ; ils élaborent et fixent jusque dans le plus menu détail un plan conforme à leurs intérêts, et comptent, pour l’exécuter, sur les forces et ressources de leurs alliés, dont ils entendent bien disposer en maîtres. Le jour où l’Allemagne serait en mesure de réorganiser économiquement la Russie et de lui imposer politiquement sa direction, c’en serait fait, non seulement de la France, mais de l’Europe. Le seul moyen de rendre impossible une alliance entre l’Allemagne et la Russie, c’est d’amener un rapprochement et un accord entre la Russie et la Pologne.

« Mais, objectent quelques hommes d’État polonais, quelle est cette Russie dont vous nous proposez de rechercher l’alliance ? est-ce la Russie des Soviets ? vous reconnaissez vous-mêmes qu’aucun accord n’est possible avec l’actuel gouvernement de Moscou. » Il ne s’agit pas pour la Pologne de rechercher l’alliance des Soviets, mais de se ménager la possibilité d’une entente durable avec le peuple russe, donc d’éviter