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Belvédère, pour former avec MM. Daczynski et Witos un ministère de gauche, avaient successivement échoué. Les socialistes finirent par céder aux instances du chef de l’État et à la pression des événements : ils envoyèrent leurs représentants au Conseil de Défense et ne devaient pas d’ailleurs attendre longtemps avant de participer aussi au gouvernement.

Peu de jours après l’entrée en fonction du Conseil de Défense, M. Roman Dmowski, qui en faisait partie, me donna rendez-vous, pour l’heure du dîner, à la Ressource, un des plus anciens clubs de Varsovie. Que de fêtes splendides et joyeuses avaient eu pour cadre ces vastes salons aux boiseries blanches, ce jardin dont quelques arbres magnifiques ombragent les pelouses ! Les hôtes, ce soir, étaient rares et silencieux. Je trouvai M. Dmowski dans le jardin. Il était las d’une longue journée remplie d’affaires et sentait le besoin d’oublier pour un instant la politique. L’entretien s’engagea donc librement sur les pays de l’Afrique du Nord, qu’il venait de visiter, et se poursuivit de même autour des objets les plus divers : histoire, anthropologie, religion, souvenirs d’Europe et images d’Extrême-Orient ; on sait que M. Dmowski est non seulement un homme d’État éminent, mais encore un savant de mérite, un grand voyageur et un causeur délicieux.

Cependant il nous fallut bien revenir à l’heure présente, à la Pologne. M. Dmowski, accoudé à la table, avait gardé un moment le silence. D’un geste qui lui est familier, il passa une main sur son front et dit : « La situation militaire est franchement mauvaise. Pourtant je ne suis pas pessimiste, car jamais notre peuple n’eut un moral aussi élevé qu’aujourd’hui. Les hommes de toutes les classes sociales s’engagent et demandent à partir immédiatement pour le front. Ceux qui ont passé l’âge de servir offrent de l’argent, du matériel, des chevaux, des maisons pour installer les bureaux militaires ou les hôpitaux. Si vous pouviez lire les lettres que je reçois, si simples dans leur générosité, et si émouvantes !…

« Cette guerre est pour mon pays l’épreuve décisive et nécessaire. L’épreuve de la Grande Guerre nous fut douloureuse ; elle n’a pas été éducatrice et bienfaisante pour notre peuple, comme elle l’a été pour le vôtre. Pendant quatre ans, vous vous êtes battus pour défendre vos foyers et votre liberté menacés ; vous avez serré les rangs autour de vos chefs et de vos drapeaux. Pendant quatre ans, nous nous battions sous le commandement et