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24 octobre. — Le combat continue. Nous cherchons à passer de l’autre côté de l’Yser. Nous marchons alors vite par la contrée qui s’étend devant nous, à travers les fossés, et sous le feu intense de l’ennemi. Nous prenons position près de la ferme Vandewoude, où nous nous abritons contre l’effroyable feu de l’artillerie de l’ennemi. Terrible situation. Nous ne connaissons rien de la situation générale. Je ne sais pas du tout où l’ennemi se trouve, ni quelle est sa force, et il n’y a pas moyen d’obtenir de renseignements. Dans les autres lignes, on fait également de lourdes pertes qui ne sont pas du tout en rapport avec les résultats que nous obtenons. L’artillerie ennemie est trop forte et trop bien abritée ( ! ), et comme elle n’est pas réduite par notre artillerie plus faible ( ! ), une progression de l’infanterie est sans effet, et ne provoque que de lourdes et inutiles pertes.

Le secours aux blessés laisse également beaucoup à désirer. A Dixmude, plus de dix blessés sont restés sur le terrain sans aucun soin. Les compagnies sanitaires sont inutilement retenues derrière l’Yser. Il est également impossible de recevoir d’une façon régulière des approvisionnements en eau et en vivres. Depuis plusieurs jours, nous n’avons pas goûté de repas chaud. Le pain et le reste sont à peine suffisants. Les rations de réserve sont épuisées. L’eau est mauvaise, toute verte, mais on la boit quand même, car il n’y a rien autre à trouver. L’homme est réduit à l’état de bête. Personnellement, je n’ai plus rien à manger, car j’ai tout laissé dans ma selle sur le cheval. Je vis de ce que les gens veulent bien me donner en camarades, et le partage est maigre, faute de biens. Il ne faut pas penser à changer de vêtements ou de linge. Je me trouve dans une situation incroyable. De toutes parts, les fermes et les villages brûlent. Quel triste spectacle que celui de cette magnifique région, parsemée de blessés et de morts !

26 octobre. — La nuit fut effrayante. Un terrible orage et de la pluie. J’étais comme gelé, et je suis resté debout, les pieds dans l’eau. Devant nous, et dirigée sur nous, une fusillade ininterrompue. On va construire un pont fixe sur l’Yser, car un pont a été de nouveau détruit par l’artillerie ennemie.

La situation est la même que les jours précédents. Aucun progrès, malgré le combat incessant, malgré le hurlement du canon et les cris d’alarme de vies humaines inutilement immolées. L’infanterie ne peut produire aucun effet avant que l’artillerie n’ait annihilé le canon de l’adversaire. Les pertes doivent être énormes partout. Notre compagnie a beaucoup souffert. Notre colonel, notre chef de bataillon et beaucoup d’autres officiers sont blessés, et plusieurs sont déjà morts. La situation n’est pas plus nette qu’auparavant, nous n’apprenons rien. Notre régiment est mêlé aux autres régiments de façon